vendredi 9 décembre 2011

Quelque chose à se faire pardonner ?


La journée de Valérie avait été épuisante. Elle ne rêvait que d’une seule et unique chose en rentrant chez elle, un bain chaud. Rien n’avait fonctionné comme elle le souhaitait et les problèmes, loin de se résoudre, s’étaient acharnés à se révéler plus complexes qu’ils n’y paraissaient au premier abord. Après avoir garé sa voiture sur le parking de l’immeuble, la jeune femme s’empara de la sacoche qu’elle avait négligemment jetée sur le siège à ses côtés. Elle traversa la courte distance qui la séparait de son chez elle en quelques enjambées et choisit de prendre les escaliers pour arriver plus vite encore à son appartement. Le deuxième étage était loin de lui paraître inaccessible.

Arrivée sur le palier, elle appuya sur la poignée d’un mouvement fort tout en la poussant et fut surprise de constater que celle-ci était fermée. Elle fronça les sourcils en se demandant où Marie avait bien pu disparaître à cette heure tardive. Elle fouilla dans sa poche, récupéra son jeu de clés et ouvrit finalement la porte. Valérie songeait déjà à téléphoner à sa compagne pour savoir où elle se trouvait quand elle fut surprise par une étrange odeur et des bruits étouffés en provenance de la cuisine.

Elle déposa sa sacoche sur le meuble de l’entrée, n’arrivant pas à croire qu’elle avait enfin réussi à faire changer Marie. Cette dernière avait fermé la porte alors qu’elle se était dans l’appartement. C’était une première depuis qu’elles vivaient ensemble… Depuis qu’elles se connaissaient en vérité. C’était toujours elle qui mettait les verrous en temps normal. Valérie sourit, heureuse, en se félicitant intérieurement de cette évolution plus que favorable pour la sécurité de sa compagne.

Valérie se dévêtit en s’interrogeant sur cet arôme inhabituel en provenance de la cuisine et surtout sur le simple fait que Marie s’y trouve sans elle. Marie détestait cuisiner. Elle ne se pliait à ce qu’elle considérait comme une corvée que quand elle était accompagnée par quelqu’un. Valérie tenait cela de source sûre, de Nadine, la mère de la jeune femme. Elle faisait toujours ce qu’on lui demandait de faire quand on avait besoin d’elle pour éplucher des légumes, laver de la salade, couper des pommes de terre, mais dès qu’elle se retrouvait devant la gazinière, elle ne pouvait pas rester immobile à surveiller un plat qui finissait immanquablement par brûler. Cela avait beaucoup plu à Valérie au début, elle considérait que ça faisait partie du charme de Marie. Maintenant c’était beaucoup moins drôle quand elle rentrait épuisée, de devoir encore cuisiner si elle souhaitait manger. Aussi était-elle intriguée de savoir Marie seule dans cette pièce de l’appartement, alors qu’elle était loin d’être sa préférée.

Une fois ses pantoufles mises, Val ouvrit la porte de la cuisine et découvrit une Marie penchée au-dessus d’une poêle, visiblement très concentrée par ce qu’elle faisait cuire. Le bruit de la hotte aspirante couvrait la musique qui, pour une fois, n’atteignait pas le sommet de volume habituel. Marie tourna la tête à la vue de Valérie et sourit en lui disant bonsoir. Épatée par ce qu’elle avait sous les yeux, en l’occurrence la femme qu’elle aimait vêtue de son tee-shirt préféré à tête de mort protégé par le tablier de grand-mère que Valérie avait volé chez sa propre mère, celle-ci s’approcha et lui vola un léger baiser.
- Qu’est-ce que tu fais ? demanda Valérie après s’être reculée.
- Je prépare à manger. répondit simplement Marie en reportant son attention sur les lardons qui étaient visiblement assez cuits pour qu’elle rajoute les morceaux d’échalotes qu’elle avait coupés un peu plus tôt et qui se trouvaient dans une assiette, juste à côté.
- Je vois ça... déclara sa compagne en passant ses bras autour de la taille de celle-ci tout en s’appuyant contre son dos comme pour y puiser de la force.
- Dure journée ?
- Pire que ça. rétorqua Valérie en sentant Marie bouger et travailler. Je te gêne ?
- J’adore quand tu fais ça mais j’avoue que là tout de suite, ça bloque un peu mes mouvements. avoua Marie en essayant de ne pas être trop désagréable.
- Ok, ben alors je te laisse bosser si tu me promets de ne rien faire brûler.
- Je vais essayer. Tu as une bonne vingtaine de minutes si tu veux te détendre un peu.
- D’accord, je vais aller prendre un petit bain. répondit Valérie en se détachant à contrecoeur de sa compagne et en quittant la pièce.
- Tu ne me demandes même pas ce que je cuisine ? lança Marie alors que Valérie avait déjà changé de pièce.
- Non. Je suis plutôt intriguée par la raison qui t’as amenée à cuisiner. rétorqua Val en prenant la direction de leur chambre.

Elle n’obtint aucune réponse mais entre la musique et le bruit de la hotte, cela ne la surprit même pas. Elle s’empara de son vieux jogging préféré, le seul qu’elle possédait en réalité, mais qui était parfait quand elle était dans cet état. Un tee-shirt, un pull, des sous-vêtements suivirent et s’entassèrent sur le coffre de la salle de bain. Valérie ouvrit alors le robinet d’eau chaude et ajouta une noisette de bain moussant. Elle rêvait de ce moment depuis tellement longtemps que le paradis semblait être ici, à portée de main.

Immergée jusqu’au cou depuis une vingtaine de minutes, Valérie avait les yeux fermés et savourait le bien-être que lui procurait ce bain relaxant quand elle entendit taper deux petits coups discrets à la porte. Elle ne fit pas le moindre mouvement et invita sa compagne à entrer d’un simple oui. Marie ouvrit lentement la porte et pénétra dans la pièce à la chaleur presque suffocante. Le grand miroir derrière le lavabo était entièrement recouvert de buée et la moiteur qui régnait prouvait que Valérie ne prenait pas un bain glacé.
- Ton temps est écoulé. Le repas est prêt.
- Ça veut dire qu’il faut que je bouge. murmura Val sans ouvrir les yeux ni même faire mine de se lever.
- Je l’ai mis au four pour le tenir au chaud. Tu peux rester un peu plus longtemps si tu veux. répondit rapidement la jeune femme blonde en s’approchant de la baignoire et en s’accroupissant devant, les avant-bras posés sur le rebord, le menton calé sur ces derniers.
- Tu as allumé le four pour ça ? Ok, c’est bon, je bouge. rétorqua Valérie en ouvrant les yeux et en faisant mine de se redresser.
- J’ai pas allumé le four exprès. Il était chaud à cause du gâteau au chocolat. Même éteint il conserve un peu de chaleur.
- Tu as fait un gâteau chocolat ?

Valérie observa sa compagne, plus que surprise. Elle ne saisissait pas la raison de ce brusque changement et cela commença à l’inquiéter. Elle fouilla dans sa mémoire pour se souvenir si ce jour-là signifiait quelque chose de particulier pour toutes les deux mais ce n’était pas le cas. Et puis ce n’était pas du tout le genre de Marie de se rappeler des détails. Elle était romantique, certes mais elle était incapable de se souvenir des dates importantes. Valérie s’estimait déjà heureuse qu’elle se souvienne de sa date de naissance ou de la date de leur premier baiser. La date du jour ne lui évoquant rien d’exceptionnel, Val fit la grimace et demanda simplement.
- Qu’est-ce que tu as fais comme connerie ?
- Pourquoi tu me demandes ça ? demanda Marie sans bouger, mais tout de même un peu sur la défensive.
- Parce que tu as fait un gâteau au chocolat et le repas. Elle ne demanda même pas de quel gâteau au chocolat il était question, Marie ne savait en faire qu’un seul. Celui que ses deux frères savaient également préparer. Un fondant au chocolat d’une simplicité rare qui avait le mérite de leur avoir fait passer de délicieux quatre heures.
- Tu pars du principe que comme je cuisine alors j’ai forcément fait une connerie ?
- Oui.
- Merci pour la confiance. rétorqua Marie en faisant la moue.

Valérie n’avait pas quitté sa compagne des yeux pendant tout l’échange et le regard fuyant de cette dernière n’avait fait que la conforter dans ses soupçons. Quelque chose ne tournait pas rond, elle en était intimement convaincue. Elle interrogea Marie du regard tout en priant intérieurement pour que celle-ci ne lui annonce pas une catastrophe pouvant remettre leur histoire en cause. Pas ça, pas maintenant.
- Ok, j’ai peut-être bien fait une connerie… laissa alors échapper cette dernière sans s’éloigner de Valérie, le menton toujours posé sur ses mains, sur le rebord de la baignoire.
- Grosse comment la connerie ?
- Moyenne…
- Et ?
- Attends je vais te montrer.

Marie se leva rapidement et quitta la pièce. Valérie poussa un soupir de soulagement. Elle ne l’avait pas trompée. On ne montrait pas une tromperie. Un tout petit peu rassurée elle attendit le retour de sa compagne, une angoisse sourde au creux de l’estomac. Elle n’avait pas la moindre idée de ce que celle-ci allait lui annoncer. L’eau commençait à tiédir et même si elle refusait de bouger, Valérie n’était plus aussi tranquille que quelques minutes plus tôt. Lorsque Marie revint lentement, elle avait une main cachée dans le dos. Elle s’accroupit à nouveau devant la baignoire et commença son explication.
- Je fais des machines depuis des années. J’ai vécu seule pendant longtemps avant de te rencontrer. Je veux dire, je ne suis pas une débutante en ce qui concerne le lavage du linge. Je veux dire je maîtrise… Normalement.
- Hum hum. laissa échapper Val qui ne comprenait rien à cette introduction. Marie avait l’art de faire durer ce qui pouvait se dire en trois mots.
- J’ai fait déteindre le linge.

Une simple phrase renforcée par une preuve qui sortit alors de derrière le dos de la jeune femme blonde. Une culotte DIM qui avait autrefois été entièrement blanche s’avérait aujourd’hui bleue clair, seul l’élastique avec le nom de la marque était encore parfaitement blanc. Valérie étouffa le ‘ouf’ de soulagement et faillit éclater de rire. Elle se retint pourtant devant le visage ennuyé de Marie qui prenait visiblement la chose très à cœur. Mais son soulagement était tel qu’elle ne put s’empêcher de déclarer avec un immense sourire :
- Tu l’as lavé avec un Schtroumpf ?
- Arrête, c’est pas drôle. Je l’ai refait tourner après avoir identifié la source du problème et l’avoir éloignée mais ça n’a rien changé. T’as vu à quoi ça ressemble ?
- Je vois ça, je vois ça. répondit Valérie au bord du fou rire en songeant que c’était tout Marie « d’identifier la source du problème » quand il s’agissait de faire déteindre le linge. Elle s’amusait parce qu’elle savait pertinemment que si celle-ci avait fait tourner une machine de blanc, le linge en question devait se composer de ses chaussettes de tennis, de ses culottes blanches et de serviettes de toilette. Pas de quoi paniquer en somme.
- Ça ressemble à rien ! se désespéra Marie tenant toujours le sous-vêtement dans sa main.

Ne parvenant pas à se retenir une seconde supplémentaire, Valérie éclata de rire. Le visage ennuyé de sa compagne, la manière dont elle avait tenté de résoudre le problème, son attitude pour s’excuser et se faire pardonner, tout était disproportionné et en même temps adorable.
- Non mais c’est pas drôle, c’est sérieux ! essaya d’expliquer Marie à une Valérie hilare dans son bain.
- Oui, oui, c’est sérieux. rétorqua cette dernière entre deux éclats de rire. Elle ajouta alors après s’être un peu calmée. Juste pour savoir, il y avait quoi comme linge avec cette culotte ?
- Heu… Des chaussettes de tennis blanches, d’autres culottes comme celle-là… Et puis nos serviettes de toilettes et le torchon pour les mains de la cuisine et… C’est tout je crois.
- Hum hum. Et juste pour savoir, 80% de ce linge n’est pas à toi par hasard ? J’ai beaucoup de chaussettes de tennis ?

Marie réfléchit un instant et confirma que Valérie avait raison. Les culottes blanches étaient les vestiges de sa vie précédente, quand elle était infirmière et qu’elle ne voulait pas que ses sous-vêtements se voient par transparence, sous sa blouse. Les chaussettes de tennis, c’était… son gros défaut d’après ce que tout le monde lui expliquait depuis des années. Parce qu’on ne mettait pas de chaussettes blanches avec un jean ou un pantalon noir. On mettait des chaussettes de couleur. Mais elle adorait les chaussettes de tennis…
- C’est pas parce que c’est juste du linge à moi que c’est pas grave. déclara alors Marie en se levant d’un bond.
- Tout à fait d’accord mais c’est pas la fin du monde non plus. Tu avais mis une lingette décolorante ?
- Oui… Et elle est sortie toute bleue.

Valérie étouffa un nouvel éclat de rire. Ses yeux rieurs ne parvenaient pas à cacher son amusement et elle ajouta alors :
- Tu as lavé qui ? Le Grand Schtroumpf ?
- T’es nulle, t’y connais rien. Le Grand Schtroumpf est rouge et bleu. Si je l’avais lavé, le linge serait ressorti gris.
- Ça aurait été moins joli, faut bien le reconnaître. Il est pas si mal ce bleu clair.

Marie hocha la tête de droite à gauche, rassurée que Valérie prenne cela à la rigolade et ne lui en veuille pas trop. C’était la première fois que ça lui arrivait et elle ne faisait pas la fière, loin de là. Valérie se redressa un peu dans la baignoire et sortit une main de l’eau. Elle détacha la ceinture du jean de Marie et déboutonna le bouton avant d’abaisser la fermeture éclair.
- Et si tu me rejoignais ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle voulait tentatrice.
- Pourquoi pas ? déclara Marie en ôtant son tee-shirt et en baissant son pantalon. Une fois entièrement nue, elle entra dans la baignoire et s’adossa au corps de Valérie qui l’accueillit avec douceur.
- Ça fait combien de temps que tu as ces culottes blanches ? lui murmura-t-elle alors à l’oreille.
- Heu… Marie essaya de se concentrer pour réfléchir mais elle n’avait aucune idée de la réponse à cette question. Longtemps. Ça date de l’époque où j’étais infirmière. Je sais pas plus de 3 ans déjà c’est sûr.
- C’est peut-être l’occasion d’en racheter alors. rétorqua simplement Valérie en appuyant sa tête sur le rebord de la baignoire et en refermant les yeux, ses mains courant sensuellement sur le corps de Marie.
- Tu viendras avec moi ?
- Sûr. Tu verras c’est marrant. Et puis tu pourrais peut-être envisager les chaussettes de tennis noires. Comme ça elles ne craindront rien la prochaine fois.
- Il n’y aura pas de prochaine fois. Le Schtroumpf Grincheux a disparu.
- C’était lui ? demanda Valérie alors que son corps était traversé d’un nouvel éclat de rire qui fit bouger Marie, confortablement calée contre elle. La prochaine fois ce sera le Schtroumpf maladroit ?
- Il n’y aura pas de prochaine fois. répéta une nouvelle fois Marie maintenant plus amusée qu’autre chose. Elle s’empara des mains de Valérie et commença à jouer avec, détendue et rassurée par la réaction de sa compagne. Tu sais, si on reste trop longtemps, le repas risque d’être mauvais.
- Brûlé ?
- Non pas tant que ça. Mais sec à cause du four.
- Hum hum… Il restera le gâteau au chocolat.
- Lui par contre, il a pris un tout petit coup de chaud sur le dessus… annonça Marie en souriant et en se retournant pour embrasser très légèrement Valérie dans le cou.

Valérie éclata une nouvelle fois de rire. Sa vie était fantastique. Elle était amoureuse d’une femme qui était incapable de cuisiner la moindre chose sans la faire brûler et qui considérait que faire déteindre le linge se situait à 7 sur l’échelle de Richter. Et le pire c’est qu’elle était heureuse de partager sa vie avec cette femme. Elle la serra un peu plus contre elle et lui demanda si elle ne voulait pas rajouter un peu d’eau chaude parce qu’elle commençait à avoir froid. Marie se releva un peu pour se rapprocher des robinets. Elle vida un peu la baignoire avant de rajouter de l’eau chaude. Une fois la température remontée de quelques degrés, elle revint se coller contre Valérie et lui murmura en l’embrassant sur l’épaule.
- Je connais un bon moyen pour avoir encore plus chaud.

Val soupira en souriant, sachant pertinemment ce que son amante voulait dire. La fatigue de la journée s’envola alors que Marie s’emparait de ses lèvres et que ses mains commençaient à caresser son corps sous l’eau. Alors qu’elle répondait à ce baiser tendre et doux, Valérie réalisa que c’était juste ça le bonheur. Ni plus ni moins.


Isabelle B. Price (Mars 2010)

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