Je suis une femme. Ça peut paraître étrange mais je précise
pour ceux qui l’ignorent. Je suis une femme. Une jeune femme même puisque de
nos jours nous considérons jeune une personne de 25 ans. Donc, en résumé, je
suis une jeune femme. Ma stature, ma couleur de cheveux et mes tenues
vestimentaires ne vous intéressent certainement pas mais ont quand même un tout
petit peu besoin d’être précisés pour les besoins de cet article. Je vais donc
aller vite pour expliquer que je suis blonde, il en faut, que je suis mince et
grande et que même si je ne porte jamais de jupe ni de robe, mes vêtements ne
dissimulent en rien ma féminité.
Maintenant, vous visualisez ? Une grande blonde, mince
avec un jean moulant, un T-shirt près du corps sans manche et des baskets bleues
pour s’harmoniser avec le jean (je ne peux pas non plus être parfaite, ça
casserait le mythe). Bref, ce matin là, je m’étais habillée ainsi avec la ferme
intention de ne pas trop souffrir de la chaleur et d’éviter l’heure de pointe.
Oui, ce matin là, pendant mon repos, j’avais décidé d’aller à Castorama pour
acheter de quoi terminer l’électricité dans l’appartement.
À 9h50, après avoir laissé le flux continu des voitures se raréfier
sur le périphérique, je monte donc dans ma Twingo direction mon magasin préféré,
le seul où je peux passer des heures à piétiner sans me plaindre ni trouver le
temps long, Castorama. Excellente initiative question horaire, les voitures peu
nombreuses me laissent le champ libre pour arriver sur les lieux en moins de vingt minutes. Je suis ravie. Tout s’annonce
parfaitement bien en ce beau jour de mai. Le soleil brille, j’ai la musique à
fond, je chante à tue tête, rien ne m’arrête.
Lorsque j’entre sur le parking de Castorama, je fonce
directement vers l’entrée et repère une place près des chariots. J’ai remarqué
qu’en me garant près des chariots, il est plus facile de décharger au retour et
de se débarrasser de l’encombrant véhicule à roulettes permettant le transport
de marchandises. Depuis, je me gare systématiquement
près des caddies. Je récupère mon sac à main, un
jeton et sort de ma voiture en sifflotant. Le parking n’est pas aussi plein que
je l’attendais. Peut-être que Casto n’est finalement
pas un magasin toujours bourré de monde.
En me dirigeant vers les caddies,
je note un homme d’une soixantaine d’années qui me regarde comme si j’étais une
extra-terrestre. Je doute une minute mais je n’ai rien sur le visage, j’ai
vérifié dans le rétroviseur avant de sortir. Je me retourne discrètement vers
la voiture, elle est parfaitement garée. Ma braguette est fermée. Mes
chaussures sont lacées. Pourquoi il me regarde comme ça alors ? Pourquoi
ce regard insistant.
Je vais sous l’abri récupérer
le chariot qu’il me faut pour le transport des baguettes de deux mètres et prends la direction du magasin. Je sens encore le
regard de cet homme sur moi sans parvenir à comprendre. Je me rapproche de
l’entrée et vois soudain un papa d’une trentaine
d’années, un sac dans chaque main et une petite fille à la tête blonde comme
les blés perchée sur ses épaules. Elle tend la main droit devant elle en se
penchant sur son papa certainement pour lui montrer leur voiture. Je souris de
ce tendre moment de complicité et me rappelle quand mon père faisait la même chose. J’avais le sentiment de
dominer le monde du haut de son mètre quatre vingt. Mon sourire n’échappe pas à
ce jeune père qui me le retourne, visiblement heureux.
Et soudain, alors que les doubles portes battantes du grand
magasin s’ouvrent devant moi je comprends pourquoi cet homme me dévisageait.
Cela n’avait aucun rapport avec le fait que nous soyons
mardi et qu’il est soit dix heures du matin, heure à laquelle n’importe qui
travaille, normalement (le privilège de bosser un week-end sur deux, les repos
en semaine), non. Ce qui l’a surpris et interpellé c’est de voir une jeune
femme seule arriver dans un magasin de bricolage.
Je n’ai pas le profil. Je souris de plus belle. Je n’ai pas
le profil de la parfaite bricoleuse. Je suis bien habillée, féminine, jeune. Je
n’ai rien à faire là. Ou je devrais être à la fac s’il a deviné mon âge ou je
devrais être en train de m’occuper de mes enfants. En aucun cas ma place est
ici. Je m’amuse des idées reçues en disant bonjour à l’agent de sécurité qui me
salue.
Je dis toujours bonjour aux agents de sécurité. Premièrement parce que quand j’étais jeune et que
je pensais avoir un avenir dans le judo, je me voyais bien reconvertie en agent
de sécurité (avant d’apprendre que ce n’était pas pour les femmes. Heureusement
depuis les choses ont évolué.) Deuxièmement parce que je pense qu’il n’a pas un
travail facile du tout, toujours debout, à déambuler dans les allées. Bref
assez de digressions.
Je me dirige rapidement vers le rayon électricité. Bien
évidemment, rapidement signifie tout de même un détour non négligeable vers les
luminaires et les tableaux, pour plus tard, quand j’aurai du papier peint ou de
la peinture sur les murs de mon appartement. Non parce que c’est quand même
important de visualiser plus loin que l’électricité, les saignées et le plâtre.
La déco c’est important même si c’est pour dans cinq ans.
Donc je repère une nouvelle fois de jolies choses. Je passe
ensuite au rayon papiers peints avant de continuer à avancer en direction de
celui de la peinture. Je glisse vers les salles de bain pour rêver un peu puis
réalisant que l’heure tourne et que je m’étais promis de faire vite pour éviter
les bouchons de midi, je mets le cap sur l’électricité.
Une fois sur place je dégaine ma liste de course, repère les
gaines qu’il me faut et commence à les récupérer. Je sors quand même mon mètre
placé dans mon sac à main pour vérifier la véracité des informations
mentionnées par les petites étiquettes. Pas que je ne leur fasse pas confiance,
je suis juste prudence. Ça correspond parfaitement.
Cinq gaines de chaque taille se retrouvent donc dans mon chariot. À ce moment là, un vendeur s’approche avec un autre
monsieur retraité qui a déjà un interrupteur et du fil
dans les mains.
Le gentil vendeur explique au monsieur la différence entre
les gaines et lui demande plus de précision sur ce qu’il souhaite réaliser
pendant que je reprends ma liste. Une boite de dérivation et 20 mètres de fil rouge
1,5. Je m’empare de mon chariot et remonte d’une allée. En face des fils je
localise les boites de dérivation. Le choix n’est pas si aisé ici, je n’ai pas
la boite rectangulaire que je voulais. J’opte pour une carrée. Il n’y aura qu’à
serrer un peu plus les futurs occupants.
Je me retourne pour chercher mon fil lorsque le vendeur
revient, toujours suivi du monsieur qui me semble avoir soixante dix ans. Le
vendeur lui ré explique quelque chose concernant le fil que je n’écoute pas,
préoccupée par la recherche de mon fil rouge. Lorsque je le localise, je
découvre qu’il existe en 5
mètres, en 10 mètres et en 20 mètres. Le premier est
bien évidemment moins cher mais ne sera pas suffisant. Il obligerait à mettre
des dominos et je ne préfère pas. Donc va pour le 20 mètres.
Devant mon hésitation, le vieil homme s’est tourné vers moi
alors que le vendeur lui montrait autre
chose. Je prends le fil que je place dans mon caddie et soutiens le
regard du retraité. On ne va pas me faire le coup deux fois en une matinée non
plus. Hé bien si. Enfin pas tout à fait. Celui-là semble s’excuser d’accaparer
le vendeur à travers son regard triste. Je lui souris comme pour le rassurer.
Il peut le garder aussi longtemps qu’il le veut son vendeur. Je n’en ai pas
besoin, j’ai tout ce qu’il me faut.
Je me dirige vers la caisse d’un pas rapide et alors que je
m’insère dans une file d’attente je ne peux m’empêcher de penser que la
prochaine fois que je viendrai à Castorama,
je mettrai un vieux jeune XXL troué aux genoux
et un T-shirt du même genre. Peut-être que de
cette manière on ne me dévisagera pas autant.
J’en suis là de mes réflexions lorsque c’est mon tour. Je
montre à la vendeuse les codes barres des baguettes que j’ai volontairement mises à son niveau pour lui faciliter le travail et
lui dit combien il y en a de chaque. Elle m’adresse un superbe sourire qui
illumine tout son visage. J’en profite une seconde avant de payer. Peut-être que
finalement je ne m’habillerai pas en XXL la
prochaine fois…
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