mardi 14 août 2012

Modèle d'Identification Lesbien




Je viens d'une petite ville de campagne, au fin fond de l'Auvergne. Bon, je le reconnais bien volontiers pour les initiés, ce n'est pas un village et cette ville est quand même considérée comme la capitale de la Haute-Loire. Oui mais voilà, elle est petite. Tout le monde y connait tout le monde. Mes parents sont tellement reconnus dans la rue que j'ai parfois l'impression qu'ils sont des rock stars (sauf que ce sont mes parents et qu'ils ne ressemblent pas du tout à des rock stars). Bref, je n'avais que rarement le sentiment de voir de nouveaux visages. Et surtout, j'avais l'impression qu'il n'y avait aucune femme comme moi, aucune femme homosexuelle.

Après la création d'Univers-L j'ai compris que je m'étais trompée. Il y a beaucoup de lesbiennes dans la ville où je suis née. C'est juste que je ne savais pas où chercher ni où les trouver. Maintenant je le sais et je réalise, comme dans les films et comme les spécialistes du lobby gay le disent, que nous sommes partout ! Il faut juste ouvrir les yeux en fait. Sauf que j'ai envie de dire maintenant je m'en fous un peu de trouver d'autres lesbiennes. Enfin je ne m'en fous pas vraiment vraiment mais c'est moins vital que quand j'avais dix-huit ans et que j'étais en pleine construction de mon identité. À cette époque-là j'étais en quête de modèles et je n'avais rien à portée de main. Aucune possibilité d'identification à disposition.

Quand j'avais dix-neuf ans, les seuls modèles positifs de l'homosexualité féminine que j'avais trouvés étaient les chanteuses du groupe Tatu. Je le reconnais il y avait bien Amélie Mauresmo mais je n'étais pas suffisamment sportive au point de me dire qu'elle m'intéressait. Avec les filles du groupe Tatu, j'avais des pop stars qui faisaient de la musique que j'aimais, des filles presque normales de mon âge et des bisous réguliers ainsi qu'une promo basée sur le sujet qui faisait que je pouvais partir en quête de photos sur Internet. Je reconnais que ça a été très dur pour moi d'apprendre que ce n'était qu'un coup marketing, que de la communication bien faite. Parce que j'y croyais. J'avais aussi Willow et Tara dans Buffy contre les vampires mais je savais que tout était faux entre elles. Elles n'étaient que des personnages interprétés par des actrices.

Pourquoi cette longue introduction me direz-vous ? Je reconnais qu'elle est peut-être un peu longue mais c'est pour vous raconter le jour où ma factrice X et moi nous avons pris l'avion pour partir à Barcelone. Quoi, il n'y a aucun rapport pour l'instant ? Je sais, attendez, ça va arriver. Laissez-moi le temps d'écrire quand même. Quand on amène les choses de manière aussi efficace que cela il faut laisser aux mots le temps de prendre de l'importance.

Donc la femme que j'aime et moi nous avons pris nos premières vacances ensemble à Barcelone. Elle connaissait bien l'Espagne pour y avoir fait Erasmus. Je voulais renouer avec mes racines espagnoles du côté de mon grand-père (n'importe quoi, je l'aurais suivie partout ma factrice X, cette histoire de racine c'était juste pour faire genre on va passer des vacances un peu intellectuelles). Donc on a été à Barcelone en avion. Un court trajet en avion en partant de Lyon. On est bien évidemment arrivées à l'aéroport avec 3/4 d'heure d'avance. La femme de ma vie aime avoir de l'avance quand on a des avions, des trains ou des bateaux à prendre. C'est au cas où la voiture, le métro, le tramway, le bus ou autre moyen de transport censé nous amener vers les aéroports, les gares ou les ports soient en retard. Ça nous permet d'avoir l'esprit tranquille.

Donc, on était à l'aéroport avec nos gros sacs à dos, attendant l'affichage de l'avion. On partait une semaine, on est deux filles, nos sacs à dos étaient donc très chargés. Lorsque le tableau d'affichage a annoncé notre vol il avait plus d'une heure de retard. Puis encore du retard. Bref, on a poireauté des heures et des heures en salle d'embarquement. Moi, je m'en moquais. Oui, oui, je m'en moquais. J'étais avec la femme que j'aimais. Je partais en vacances pour une semaine. La vie était belle.

Alors qu'on mangeait un sandwich, tranquillement assises sur nos gros sacs à dos (oui, gros sera toujours lié à sac à dos dans cette nouvelle), nous avons repéré une adolescente d'une quinzaine d'années seule, timide et en retrait. Elle portait un grand t-shirt de basket et un baggy très large. Une manière stéréotypée de dire que certains l'auraient tout de suite classée dans la catégorie des lesbiennes. On ne l'a fait que quand son regard s'est attardé plusieurs fois sur nous. On s'est dit "Peut-être qu'elle est lesbienne."

Elle nous a regardées plusieurs fois, à la dérobée. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais j'ai supputé que c'était peut-être parce que, comme on partait en vacances au soleil, j'étais heureuse et collée à la femme que j'aime. Peut-être parce que je passais mon temps à lui voler des baisers et elle à faire de même pour passer le temps. Peut-être parce que j'aimais la taquiner juste ce qu'il fallait pour qu'elle me fasse ce regard faussement vexé. Peut-être parce qu'on était juste heureuses d'être ensemble et que cela se voyait.

L'embarquement a enfin eu lieu. On est monté dans l'avion. La jeune fille s'est installée juste à côté de nous. Coup de chance ? Coup du sort ? Peu importe. Il n'y avait qu'une place, elle l'a prise. Évidemment, en tant que femme de la terre ferme, j'ai légèrement broyé la main de ma factrice X lorsque l'avion a décollé. Ce n'est pas que je n'étais pas tranquille. C'était au cas où. Au cas où quoi ? Au cas où je ne sais pas. D'accord, peut-être que je n'étais pas très tranquille. Après une fois qu'on était dans les airs, je me suis extasiée sur le monde, tout petit au-dessous de nous. Et puis ensuite j'ai récupéré de notre courte nuit en m'endormant sur l'épaule de la femme que j'aimais. Je me suis réveillée juste avant qu'on arrive. Enfin un baiser romantique léger sur les lèvres m'a aidée à émerger juste avant qu'on arrive. J'ai souri et je me suis réveillée en m'étirant juste ce qu'il fallait. J'étais bien. J'ai embrassé à nouveau ma factrice X. Et l'avion a atterri.

Quand on est sorties de l'appareil, je me suis dit qu'on était peut-être les premières lesbiennes que cette jeune fille voyait de près. Et je me suis dit qu'on lui avait offert une belle vision décontractée, amoureuse et heureuse. Et puis je me suis dit ensuite qu'elle allait à Barcelone et qu'elle venait de Lyon. Et que peut-être des lesbiennes elle en avait vues plein en vrai. Et peut-être aussi qu'elle avait déjà couché avec une fille. Et peut-être aussi qu'elle n'était pas du tout lesbienne.

En clair je me suis dit que finalement, je n'allais rien changer à notre manière de faire dans la rue. Parce que peut-être que ça peut servir à des jeunes. Et si ça ne sert pas à des jeunes, ça me donne au moins l'illusion que je pourrais aider quelqu'un qui en aurait besoin juste en étant visible. Et c'est bête mais ça me fait du bien de penser ça.

Donc voilà, c'était une histoire pour raconter que je n'avais pas eu beaucoup de modèles et qu'un jour dans l'avion j'avais pensé avoir été un modèle mais que ce n'était peut-être pas du tout le cas. Je suis comme vous, maintenant qu'il est terminé je m'interroge vraiment sur la pertinence de cet article...


Isabelle B. Price (14 Août 2012)

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