Je viens d'une petite ville de
campagne, au fin fond de l'Auvergne. Bon, je le reconnais bien volontiers pour
les initiés, ce n'est pas un village et cette ville est quand même considérée
comme la capitale de la Haute-Loire. Oui mais voilà, elle est petite. Tout le
monde y connait tout le monde. Mes parents sont tellement reconnus dans la rue
que j'ai parfois l'impression qu'ils sont des rock stars (sauf que ce sont mes
parents et qu'ils ne ressemblent pas du tout à des rock stars). Bref, je
n'avais que rarement le sentiment de voir de nouveaux visages. Et surtout,
j'avais l'impression qu'il n'y avait aucune femme comme moi, aucune femme
homosexuelle.
Après la création d'Univers-L
j'ai compris que je m'étais trompée. Il y a beaucoup de lesbiennes dans la
ville où je suis née. C'est juste que je ne savais pas où chercher ni où les
trouver. Maintenant je le sais et je réalise, comme dans les films et comme les
spécialistes du lobby gay le disent, que nous sommes partout ! Il faut juste
ouvrir les yeux en fait. Sauf que j'ai envie de dire maintenant je m'en fous un
peu de trouver d'autres lesbiennes. Enfin je ne m'en fous pas vraiment vraiment
mais c'est moins vital que quand j'avais dix-huit ans et que j'étais en pleine
construction de mon identité. À cette époque-là j'étais en quête de modèles et
je n'avais rien à portée de main. Aucune possibilité d'identification à
disposition.
Quand j'avais dix-neuf ans, les
seuls modèles positifs de l'homosexualité féminine que j'avais trouvés étaient les
chanteuses du groupe Tatu. Je le reconnais il y avait bien Amélie Mauresmo mais
je n'étais pas suffisamment sportive au point de me dire qu'elle m'intéressait.
Avec les filles du groupe Tatu, j'avais des pop stars qui faisaient de la
musique que j'aimais, des filles presque normales de mon âge et des bisous
réguliers ainsi qu'une promo basée sur le sujet qui faisait que je pouvais
partir en quête de photos sur Internet. Je reconnais que ça a été très dur pour
moi d'apprendre que ce n'était qu'un coup marketing, que de la communication
bien faite. Parce que j'y croyais. J'avais aussi Willow et Tara dans Buffy
contre les vampires mais je savais que tout était faux entre elles. Elles
n'étaient que des personnages interprétés par des actrices.
Pourquoi cette longue
introduction me direz-vous ? Je reconnais qu'elle est peut-être un peu longue
mais c'est pour vous raconter le jour où ma factrice X et moi nous avons pris
l'avion pour partir à Barcelone. Quoi, il n'y a aucun rapport pour l'instant ?
Je sais, attendez, ça va arriver. Laissez-moi le temps d'écrire quand même.
Quand on amène les choses de manière aussi efficace que cela il faut laisser
aux mots le temps de prendre de l'importance.
Donc la femme que j'aime et moi
nous avons pris nos premières vacances ensemble à Barcelone. Elle connaissait
bien l'Espagne pour y avoir fait Erasmus. Je voulais renouer avec mes racines
espagnoles du côté de mon grand-père (n'importe quoi, je l'aurais suivie
partout ma factrice X, cette histoire de racine c'était juste pour faire genre
on va passer des vacances un peu intellectuelles). Donc on a été à Barcelone en
avion. Un court trajet en avion en partant de Lyon. On est bien évidemment
arrivées à l'aéroport avec 3/4 d'heure d'avance. La femme de ma vie aime avoir
de l'avance quand on a des avions, des trains ou des bateaux à prendre. C'est
au cas où la voiture, le métro, le tramway, le bus ou autre moyen de transport
censé nous amener vers les aéroports, les gares ou les ports soient en retard. Ça
nous permet d'avoir l'esprit tranquille.
Donc, on était à l'aéroport avec
nos gros sacs à dos, attendant l'affichage de l'avion. On partait une semaine,
on est deux filles, nos sacs à dos étaient donc très chargés. Lorsque le
tableau d'affichage a annoncé notre vol il avait plus d'une heure de retard.
Puis encore du retard. Bref, on a poireauté des heures et des heures en salle d'embarquement.
Moi, je m'en moquais. Oui, oui, je m'en moquais. J'étais avec la femme que
j'aimais. Je partais en vacances pour une semaine. La vie était belle.
Alors qu'on mangeait un sandwich,
tranquillement assises sur nos gros sacs à dos (oui, gros sera toujours lié à
sac à dos dans cette nouvelle), nous avons repéré une adolescente d'une
quinzaine d'années seule, timide et en retrait. Elle portait un grand t-shirt
de basket et un baggy très large. Une manière stéréotypée de dire que certains
l'auraient tout de suite classée dans la catégorie des lesbiennes. On ne l'a
fait que quand son regard s'est attardé plusieurs fois sur nous. On s'est dit
"Peut-être qu'elle est lesbienne."
Elle nous a regardées plusieurs
fois, à la dérobée. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais j'ai supputé que c'était peut-être
parce que, comme on partait en vacances au soleil, j'étais heureuse et collée à
la femme que j'aime. Peut-être parce que je passais mon temps à lui voler des
baisers et elle à faire de même pour passer le temps. Peut-être parce que
j'aimais la taquiner juste ce qu'il fallait pour qu'elle me fasse ce regard
faussement vexé. Peut-être parce qu'on était juste heureuses d'être ensemble et
que cela se voyait.
L'embarquement a enfin eu lieu.
On est monté dans l'avion. La jeune fille s'est installée juste à côté de nous.
Coup de chance ? Coup du sort ? Peu importe. Il n'y avait qu'une place, elle
l'a prise. Évidemment, en tant que femme de la terre ferme, j'ai légèrement broyé
la main de ma factrice X lorsque l'avion a décollé. Ce n'est pas que je n'étais
pas tranquille. C'était au cas où. Au cas où quoi ? Au cas où je ne sais pas.
D'accord, peut-être que je n'étais pas très tranquille. Après une fois qu'on
était dans les airs, je me suis extasiée sur le monde, tout petit au-dessous de
nous. Et puis ensuite j'ai récupéré de notre courte nuit en m'endormant sur
l'épaule de la femme que j'aimais. Je me suis réveillée juste avant qu'on
arrive. Enfin un baiser romantique léger sur les lèvres m'a aidée à émerger
juste avant qu'on arrive. J'ai souri et je me suis réveillée en m'étirant juste
ce qu'il fallait. J'étais bien. J'ai embrassé à nouveau ma factrice X. Et
l'avion a atterri.
Quand on est sorties de
l'appareil, je me suis dit qu'on était peut-être les premières lesbiennes que
cette jeune fille voyait de près. Et je me suis dit qu'on lui avait offert une
belle vision décontractée, amoureuse et heureuse. Et puis je me suis dit
ensuite qu'elle allait à Barcelone et qu'elle venait de Lyon. Et que peut-être des
lesbiennes elle en avait vues plein en vrai. Et peut-être aussi qu'elle avait
déjà couché avec une fille. Et peut-être aussi qu'elle n'était pas du tout
lesbienne.
En clair je me suis dit que
finalement, je n'allais rien changer à notre manière de faire dans la rue.
Parce que peut-être que ça peut servir à des jeunes. Et si ça ne sert pas à des
jeunes, ça me donne au moins l'illusion que je pourrais aider quelqu'un qui en
aurait besoin juste en étant visible. Et c'est bête mais ça me fait du bien de
penser ça.
Donc voilà, c'était une histoire
pour raconter que je n'avais pas eu beaucoup de modèles et qu'un jour dans
l'avion j'avais pensé avoir été un modèle mais que ce n'était peut-être
pas du tout le cas. Je suis comme vous, maintenant qu'il est terminé je
m'interroge vraiment sur la pertinence de cet article...
Isabelle B. Price (14 Août
2012)
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