Marie
lisait paisiblement allongée sur le canapé du salon. Elle entendait Valérie
s’affairer à côté d’elle, sur le minuscule balcon de l’appartement qu’elles
partageaient depuis plusieurs mois maintenant. Elle l’imaginait presque remplir
ses pots de terre et jouer avec sa petite raclette. Déterrer les plantes
délicatement pour les replanter dans un sol tout neuf et potentiellement plus
vert. C’était ça le bonheur, savourer simplement les petits moments du
quotidien et ré aliser à quel point
c’était magique.
-
Marie !! entendit-elle soudain au beau milieu de sa rêvasserie.
Le ton
de reproche dans la voix de Valérie était perceptible, si bien qu’elle
replongea fissa dans son livre. Elle l’entendit entrer dans la pièce et prononcer
à nouveau son prénom. La technique de repli qu’elle avait choisie ne
fonctionnait visiblement pas. Quelle option lui restait-il ? Elle se
souvint de ses cours de judo du collège et du fait que l’attaque était la
meilleure défense. Cela ne l’aida pas beaucoup mais elle décida d’affronter la
situation.
- Marie !
C’est quoi ça ? demanda Valérie en lui mettant sous le nez un pot de
yaourt rempli de terre au centre duquel trônait une forme indéterminée.
Marie
fit la grimace en essayant de se concentrer. Elle se souvint du cadeau volé par
son père des mois, voire des années plus tôt, dans le jardin d’un parfait
inconnu. Elle se souvint de sa mère qui tenait absolument à ce qu’elle ait des
plantes chez elle pour que « ce soit vivant ». Elle se souvint même d’avoir
précautionneusement emballé cette chose lors du déménagement pour ne pas
l’abîmer. Il avait déjà cette
tête-là ? songea-t-elle en regardant la monstruosité miniature toute
rabougrie. Elle baissa ses lunettes sur son nez, regarda par-dessus celles-ci
comme si la question méritait toute son attention et répondit :
- C’est
un cactus.
- Non,
c’est pas un cactus, Marie ! C’est un cadavre de cactus ! s’énerva
Valérie en l’agitant devant sa compagne.
- Si tu
joues sur les mots…
- Parce
que tu penses qu’il est toujours vivant ?
Un
regard à la petite chose marron totalement ratatinée au milieu du pot lui
permit de reconnaître que Val avait raison. Ce truc était tellement déshydraté qu’il
ressemblait à une pierre. Mais personne ne fait pousser des pierres dans des
pots de yaourt remplis de terre.
- Tu as
essayé les manœuvres élémentaires de réanimation ? demanda Marie avec son
plus beau sourire.
-
N’essaie pas de plaisanter, ce n’est pas drôle ! rétorqua Valérie avec un
semblant de sourire.
-
Pardon, tu as raison. Je propose un enterrement digne de ce nom. Je vais
chercher l’orchestre symphonique, je te laisse lui trouver le cercueil le plus
adapté. enchaîna Marie en s’asseyant sur le canapé. Le sourire ébauché par Val
prouvait qu’elle n’était pas vraiment en colère.
- Tu
sais que les plantes succulentes sont les plantes qui demandent le moins
d’entretien ?
- Tu
sais que tu es hyper sexy quand tu es en colère ?
- Ne
change pas de sujet ! Comment tu as pu laisser ce cactus mourir ?
- Je ne
suis pas médecin… Mais vu de là, je dirais que le décès a été causé par une
hypovolémie sévère. Je suppute qu’il est mort de déshydratation.
- Tu
supputes ? répéta Val qui hésitait entre éclater de rire ou continuer à
essayer de faire comprendre à Marie l’abomination que cela représentait.
- Oui,
j’adore ce mot.
- Et
comment cette déshydratation est-elle arrivée ?
- Je
dirais qu’une personne a oublié de lui donner à boire. avança Marie tout
sourire, amusée par la tournure que prenait la conversation.
- Et
peux-tu me dire de quelle personne il s’agit ?
- Heu…
Sa propriétaire. Je dirais… Moi. hésita la jeune femme.
-
Comment on a pu un jour te confier des patients ? demanda Valérie en
hochant la tête, faussement atterrée.
Elle
fit demi-tour aussi vite qu’elle était venue, laissant Marie surprise au milieu
du salon. La discussion ne s’était pas vraiment déroulée comme elle l’espérait.
Elle avait pourtant senti que l’énervement avait laissé la place à l’amusement
avant ce départ précipité assez inexplicable. Des fois, elle ne comprenait pas
tout.
Valérie
revint portant dans les bras un pot imposant, d’où dépassait une plante verte
bien touffue. Le pot était plutôt gros et visiblement plus lourd que le pot en
plastique qu’elle portait quelques secondes plus tôt.
- Tu
sais ce que c’est que ça ? demanda-t-elle en lui collant le végétal sous
le nez.
- Une
plante verte ?
- Non,
c’est pas une simple plante verte ! C’est un petit Beaucarnea. Cette plante
m’a été offerte par mes parents quand j’ai obtenu mon diplôme de pharmacienne.
C’est un symbole tu comprends ?
- Oui.
Là
c’était sérieux. On ne rigolait plus. Marie comprit que peu importe la
direction dans laquelle allait partir cette discussion, elle avait intérêt à
suivre et à être à la hauteur.
- Je
pars une semaine en formation. Cette plante-là a intérêt d’être toujours en vie
quand je rentrerai. Je suis bien claire ?
- Tu es
limpide. Il faut que je fasse quoi pour qu’elle reste en vie ? demanda
Marie en regardant cette plante au tronc minuscule qui semblait coiffée avec
les pieds de son réveil tant les feuilles partaient dans tous les sens.
- Tu
lui donnes à boire et tu t’assures qu’elle va bien.
- Les
plantes aiment la musique je crois. Tu penses qu’elle appréciera le dernier cd
de Grégoire ?
Désespérée
par le comportement de Marie qui semblait ne pas mesurer l’importance de cette
plante, Valérie la posa sur la table du salon sous le nez de sa compagne avant
d’aller se laver les mains dans la salle de bain.
- Je
dois l’arroser tous les combien ? questionna Marie en observant l’étrange
Yucca.
- Toutes
les 2 semaines.
- Tu
pars pendant combien de temps ?
- Une
semaine…
Marie
pencha la tête sur le côté sans quitter le Beaucarnea des yeux.
- Si je
t’ignore et que tu m’ignores, tu penses qu’on peut s’entendre ? lui murmura-t-elle
presque sérieusement. Val ! déclara-t-elle plus fort. J’ai une idée !
Tu l’arroses avant de partir, tu l’arroses en revenant et elle restera en vie.
Valérie
revint de la salle de bain les mains sur les hanches. Elle observa cette plante
si belle qu’elle aimait tant. Elle regarda Marie droit dans les yeux et lui
demanda :
- Et si
j’avais eu un chien ou un chat, t’aurais fait comment ?
- Tu
veux vraiment que je réponde à cette question ?
- Je
veux que tu prennes soin de cette plante parce que j’y tiens vraiment beaucoup.
répondit Valérie en s’asseyant sur les genoux de Marie et en passant ses bras
autour de son cou.
- Je te
promets d’y faire très attention. Je ne lui ferai pas écouter Grégoire. Je lui
donnerais à boire toutes les 2 semaines. Je lui parlerai même s’il le faut.
Promis juré.
- Ah ce
point-là ?
- Ben
il est important pour toi donc il est important pour moi. déclara simplement
Marie en approchant ses lèvres de celles de Valérie.
- Et le
cactus mort dans son pot ?
- Il
n’était pas du tout important pour moi… termina la jeune femme en s’emparant
des lèvres de sa compagne pour un baiser doux et sensuel.
Isabelle B. Price (Avril 2010)
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