jeudi 1 décembre 2011

Faire l'école buissonnière



Je suis une gentille fille. Je n’ai rien d’une bad girl. Sans me vanter, je suis le genre de nana que vous présentez sans problème à votre famille après le briefing de base essentiel où il faut me rappeler que non, on ne parle pas de cancer en plein milieu du repas, et que non, on ne se lance pas dans un exposé sur l’importance de l’égalité des droits pour les LGBT au café. Mais à part ces deux tous petits défauts, je ne suis pas très loin de ce que beaucoup considèrent comme une belle-fille tout à fait acceptable. Pas idéale, n’exagérons pas non plus. Mais acceptable. La présentation aux amis est par contre bien moins dans mes cordes tant je suis mesurée, un peu trop sérieuse et ennuyeuse sur les bords. Je gère beaucoup moins bien cet aspect-là. J’ai plus de difficultés. Il me manque ce petit grain de folie et ce « lâcher prise » qui me permettraient d’être à l’aise. Je suis toujours à côté de la plaque avec les amis mais ce n’est pas grave, je gère la famille après tout. Ce n’est rien qu’un autre de mes petits défauts, ni plus ni moins.

Et pourtant, aujourd’hui, pour la première fois depuis bien longtemps, pour la première fois depuis le week-end dernier en fait, j’ai fait un truc totalement impulsif, absolument pas professionnel et terriblement égoïste. En même temps, c’est moi quoi. Cela signifie que personne n’a été en danger, personne n’a rien remarqué et ceux à qui je l’ai dit ont considéré que c’était parfaitement naturel. Il n’empêche qu’à mon niveau, c’était un truc de dingue comme diraient mes frères.

J’ai quitté en avance une réunion professionnelle qui n’était pas terminée pour rejoindre ma copine et profiter d’elle une petite heure avant le départ de mon train. Un truc de dingue puisque je vous le dis ! J’ai planté tout le gratin des spécialistes en cancérologie, soit des cancérologues, des chirurgiens et un nombre impressionnant de professeurs en médecine, qui n’avaient pas besoin de moi pour s’en sortir, je vous l’accorde. Ils n’ont même pas remarqué ma présence donc encore moins mon absence. Et j’ai fait tout cela parce que la femme que j’aime m’a envoyé un texto en me disant qu’elle avait une réunion à 15 minutes de l’endroit où je me trouvais.

Je sais ce que vous allez dire. La plupart des gens normaux ont fait ça à 14-15 ans ou au lycée ou encore mieux, à la fac. Oui mais non. Comme je vous l’ai déjà expliqué, je suis une fille gentille. Je n’aurais jamais fait ça à cette époque-là. Encore aujourd’hui, je me suis surprise moi-même. Cette femme géniale que j’adore arrivera-t-elle à me rendre impulsive et intéressante ? Seul l’avenir nous le dira.

J’ai pris Helena Peabody comme alibi, faisant croire qu’elle avait besoin de moi pour retrouver la Gare de Lyon. Comme si j’étais une spécialiste du métro parisien ? C’est plutôt la femme de ma vie qui nous dirigeait le week-end précédent parce que je n’avais même pas envie de comprendre comment ça fonctionnait. Et puis c’était trop classe de la suivre partout, sans me poser la moindre question. Bref, peu importe, juste pour dire que j’étais aussi utile à Helena que l’appendice l’est au colon.

Bien évidemment, quand mes collègues infirmiers m’ont demandé si moi aussi je prenais le train maintenant, impossible de mentir. Faut pas pousser le bouchon trop loin non plus. Helena était la raison officielle mais la raison officieuse était tellement belle que je n’ai pas vu le moindre intérêt de la cacher. J’ai donc répondu que non, mon train partait une heure plus tard mais que je quittais la réunion maintenant tout de suite parce que j’étais amoureuse et que j’allais rejoindre la femme de mes rêves. Je pense avoir été convaincante au vu du « t’as bien raison » que j’ai récolté.

J’ai presque volé jusqu’au métro et plané durant tout le trajet. Je n’arrêtais pas de sourire bêtement et Helena m’a gardée un tout petit peu concentrée jusqu’au lieu de la rencontre. Arrivée à la gare, très égoïstement, j’ai planté ma collègue-amie-binôme en plein milieu des milliers de voyageurs et, sans un remord, j’ai foncé à la rencontre de la seule personne qui m’importait.

C’est nul des retrouvailles au milieu d’une gare, un soir de week-end de trois jours avec des gens partout et des valises à escalader et des slaloms à effectuer. C’est super dur de se dépêcher, de bousculer tout le monde et de courir à la rencontre de celle qui vous attend en regardant partout. Mais c’est magnifique le sourire de celle qui fait battre votre cœur quand elle vous voit enfin en face d’elle. Et c’est sublime un baiser de retrouvailles au milieu d’une gare bondée. En résumé, tout cela, c’est inoubliable.

On a volé une heure. Une heure. Comme des gamines, on s’est réfugiées dans un petit coin, derrière un mince arbuste qui ne nous dissimulait même pas, pour s’embrasser et avoir l’impression d’être seules au monde. Retrouver le goût de ses lèvres, la douceur de sa peau, la finesse de ses cheveux, son odeur si fruitée, c’était grisant. J’ai presque eu l’impression de maîtriser le temps puisque nous avons réussi à nous voir alors que nous ne le devions pas. Et pourtant, la montre tournait. L’heure fatidique est arrivée plus vite que prévue. Je suis montée dans le train, presque à la bourre, et j’ai quitté sa ville.

Le problème ? Mon absence totale de remords. C’était trop bon. Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Et pourtant, c’était pas professionnel, loin de là. Helena m’a dit que je devais être égoïste et apprendre à vivre pour moi. Je commence tout juste à le faire et je dois avouer que c’est totalement délicieux.


Isabelle B. Price (21 Mai 2010)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire