Le
week-end dernier, pour la première fois, j’ai rencontré la presque totalité de
l’équipe qui travaille sur le site Univers-L.com depuis maintenant plusieurs
années. J’avais terriblement peur, autant que pour mon stage de 2ème
année aux Urgences et c’est à peine si j’ai pu déjeuner le samedi matin. Pour
une fois je ne me suis même pas plainte de la journée d’avoir faim. Je n’avais
pas faim, j’étais pétrifiée.
Forcément
tout s’est bien passé. Ma première impression s’est avérée exacte. Il n’y avait
aucune psychopathe dans ce petit groupe de 6 personnes. J’ai même été plus que
surprise par notre extrême banalité. Pas de cheveux roses fluo, de drapeaux
arc-en-ciel sur les sacs à dos, de tenues vestimentaires excentriques ou quoi
que ce soit d’apparent, de flagrant. Une extrême banalité donc. Des cheveux
courts et longs, de grands manteaux pour le froid sibérien attendu à Lille, des
écharpes, des pantalons, des chemises et des tee-shirts, des chaussures… Rien
d’exceptionnel donc.
Nous
avons toutes assisté à l’interview de Shamim Sarif et Hanan Kattan. Pour les
ignares, ces deux femmes représentent tout simplement pour moi ce que Steven
Spielberg représente pour Dawson Leery, ce sont des femmes que j’admire, tout
simplement. J’étais donc morte de trouille à l’idée de les rencontrer en vrai
et encore plus de les interviewer. Heureusement j’ai été secondée
magistralement par l’équipe. Nous avions toutes écrit des questions lors d’un
brainstorming intensif en équipe et Gaëlle Carrion a posé les questions pendant
que moi je perdais toute capacité à parler et que je me contentais d’essayer de
ne pas trembler pendant que je filmais.
À la
fin de l’interview, Hanan s’est approchée de moi et m’a demandé, dans un
français plus qu’excellent, si toutes les personnes qui bossaient pour le site
se devaient de porter des lunettes. Je me suis retournée vers mon équipe et
j’ai réalisé à ce moment précis que tout le monde portait effectivement des
lunettes (sauf moi qui les avait laissées au fond d’un sac). J’ai éclaté de
rire en disant que la sélection ne se basait pas sur le port de lunettes et que
ce n’était pas un critère de recrutement. Je lui ai dit que je n’avais pas
remarqué et elle a dit qu’elle si. Elle est pleine de vie et drôle Hanan.
Ce qui
nous a toutes surprises avec les filles de l’équipe, c’est la présence de
caméras durant toute la séance d’interview et la projection du film. Des
caméras qui n’étaient pas seulement braquées sur les célébrités présentes à
savoir Hanan et Shamim mais également sur les inconnues anonymes venues voir
leur film « The World Unseen » et assister au débat qui a suivi.
Toutes ces caméras (puisqu’il y en avait deux) et ces appareils photo
‘officiels’ (tout aussi nombreux) nous ont surprises.
Alors
bien évidemment, il y avait le documentaire tourné par PinkTV mais c’était
surtout cette impression de mitraillage qui a été déconcertante. Pourquoi nous,
le public ? Pourquoi de cette manière, comme si c’était une
obligation ? Pourquoi ainsi alors que rien n’avait été annoncé ?
Dans
l’équipe d’Univers-L, tout le monde n’a pas fait son coming-out à sa famille.
En même temps le coming-out c’est quelque chose de très personnel et ça doit se
faire quand on se sent prêt, tout simplement. Et comme tout choix, cela se
respecte parce que c’est loin d’être le plus facile à vivre au quotidien, j’en
suis intimement persuadée. Filmer ainsi c’était forcer au ‘outing’ en quelque
sorte et je n’aime pas trop les outings, je l’avoue. Pareil. Plusieurs membres
de l’équipe n’ont pas fait leur coming-out au travail. En même temps, le
travail reste le travail et personne n’est obligé de parler de sa sexualité
avec ses collègues de boulot.
Et là,
la question s’est posée. Doit-on obligatoirement être visible si l’on œuvre
pour la visibilité homosexuelle ? J’ai réfléchi à la question et je pense
personnellement que non pour plusieurs raisons mais je crois que cette question
est avant tout sujette à débat et dépend des personnes, de l’âge, de la catégorie
sociale et du passé.
Je ne
nie en rien l’avancée que nous devons aux homosexuels, hommes ou femmes, qui à
force de militantisme et de présence dans les médias nous ont permis, à nous,
la jeune génération, de posséder aujourd’hui les droits que nous avons. La
dépénalisation de l’homosexualité, le pacs et bien d’autres avancées, nous les
devons à ces personnes qui sont sorties de l’ombre pour faire avancer les
choses. Mais aujourd’hui, doit-on obligatoirement se montrer pour continuer ce
combat ?
Je suis
intimement convaincue que non. Je suis une fille banale, ordinaire. Je suis née
et j’ai grandi dans une petite ville. J’ai suivi des études sans faire d’excès,
je suis rentrée à l’école d’infirmière et j’en suis sortie diplômée. J’ai
trouvé un travail, quitté mes parents, pris un appartement etc. J’ai simplement
vécu en fait. Une vie tranquille, sans vagues ni excès. Écrire a toujours fait
partie de moi. J’écrivais à 10 ans, j’écrivais à 16 ans, j’écrivais à 20 ans,
j’écris à 26 ans. Il n’y a rien d’exceptionnel à cela, le seul point qui a
évolué au fil des ans c’est les sujets que j’abordais.
Écrire
est pour moi, en soit, un acte militant. Pas besoin de connaître mon visage, il
n’a aucun intérêt. Ce qui est intéressant c’est justement cette invisibilité
personnelle. Le fait de s’effacer devant quelque chose de plus grand que soi.
Ce n’est pas moi qui suis intéressante mais le combat que je poursuis et les
changements que je crois possibles. Moi je ne suis rien qu’une combattante
anonyme, un soldat parmi la foule…
C’est
comme cela que je vois les choses. Je n’avais jamais abordé le sujet avec les
filles de l’équipe parce que la question ne s’était pas réellement posée. Mais
ce jour-là, j’ai découvert qu’elles pensaient la même chose que moi. Elles
considèrent que c’est leur implication au niveau du site qui est leur moyen de
militer, à leur manière. En même temps, elles savent qui elles sont, tout
simplement. Elles ne ressentent pas le besoin de se mettre en avant ou de crier
sur les toits qu’elles sont lesbiennes. Elles le savent, elles le vivent au
quotidien, simplement.
La
visibilité est quelque chose en quoi nous croyons profondément. Mais nous ne
sommes que des personnes ordinaires qui n’avons pas à être dans la lumière.
Nous n’avons pas écrit de livre, réalisé de film, créé de série télévisée. Nous
n’avons pas révolutionné la manière dont le monde perçoit l’homosexualité
féminine. Mais, chaque jour, à notre manière, nous nous battons pour que ceux
qui font tout cela soient reconnus à leur juste valeur. Nous ne sommes rien
d’autre que les outils permettant de faire avancer les causes qui le méritent.
Isabelle B. Price (Mars 2010)
Avis de Stéphanie Bee, historienne et
rédactrice pour le site Univers-L, chargée de la section « Du Passé au
Présent » qui présente la vie de lesbiennes des siècles précédents.
« Pour
vivre heureux, dit l’adage, vivons caché ». J’ai toujours trouvé cela très
vrai. Le bonheur est une petite chose fragile, enviable et envié, personnel et
à construire. Comme il est délicat et difficile d’apprendre à connaître qui on
est et ce qu’on veut dans la vie.
Pour ma
part, je crois que j’ai toujours su, aussi loin que je m’en souvienne, que
j’étais attirée comme un aimant par les filles. J’aimais jouer avec les
garçons, mais ils ne me marquaient pas. Petite fille, je ne me posais pas la
question de savoir si mon désir pour les filles se voyait. Ça n’avait aucune
importance. J’avais bien d’autres complexes et je ne percevais pas ma
différence. Cela ne me posait pas non plus problème de ne pas trouver de
personnages auxquels m’identifier. J’embrassais à pleine bouche la télévision
quand je voyais Jacqueline Smith des « Drôles de Dames », je me
prenais pour Rett Butler quand il embrassait Vivian Leigh, sans que cela se
traduise par une envie de me masculiniser pour ressembler aux héros masculins
qui faisaient pâmer ces dames. Seul comptait le plaisir que je ressentais à me
sentir « amoureuse ». C’était assez égoïste. Je ne pensais pas à
l’autre, qui n’était en aucune façon une partenaire possible. Quand on jouait
entre filles, car les jeux enfantins sont rarement mixtes dans les cours de
récréation (suivant mon expérience, je ne prétends pas généraliser),
j’éprouvais beaucoup de plaisir à jouer les personnages masculins rien que pour
pouvoir simuler une histoire romantique avec une camarade de jeux. Les adultes
nous regardaient avec bienveillance. Dans les années 1980, la mode était au
look androgyne et légèrement queer. Je crois que ça m’a aidée à ne pas me
sentir « étrange » ou déplacée.
Plus compliquée
a été l’adolescence, quand le plaisir de se sentir amoureux ne suffit plus et
qu’il est contrarié par l’éclosion des histoires amoureuses des autres,
encouragés à se trouver un petit copain ou une petite copine. Les filles m’ont
paru stupides à cet âge : préoccupées de l’arrivée de leurs premières
règles, de la taille de leurs bonnets de soutien-gorge, en train de minauder
devant les garçons dans les soirées d’anniversaire et les
« booms ». La visibilité était
alors à l’opposé de ce que je voulais. Je suis devenue un vrai caméléon, avec
désormais l’impression désagréable de vouloir quelque chose de mal :
embrasser une fille. Je ne voulais surtout pas me faire traiter de « sale
gouine ». Pas question d’esquisser le moindre mouvement trahissant mes
préférences. Aucune prise de risque. Pas question de « se taper
l’affiche », comme les jeunes disent encore parfois. Les filles n’étaient
pas des partenaires : elles étaient même potentiellement des ennemies qui
pouvaient se servir de moi et me faire du mal si elles venaient à apprendre
qu’elles pouvaient me plaire. Pas de meilleure amie exclusive, mais un petit
groupe de copains sans aucune prédilection. Je ne cherchais pas non plus à
aller dans le « milieu » dont j’ignorais totalement l’existence et
qui m’aurait fait peur si j’avais su que cela existait. Je craignais de n’y
découvrir que des « camionneuses », image repoussoir par excellence
parce que terriblement identifiante et visible et si loin de mes rêves
romantiques de princesse charmante. Je n’admirais donc pas celles qui osaient
« assumer leur homosexualité ». Bref, à l’adolescence, j’ai pris peur
et j’ai reconverti ma « libido » dans les études comme diraient les
psys. Pendant ce temps, ma mère m’achetait des préservatifs, découpait des
articles sur la « première fois avec un garçon » et mon père me
montrait des usages ludiques de préservatifs (en faire des bombes à eau par
exemple) pour que j’apprivoise ce nouvel instrument. Sauf, que, peine perdue,
je n’avais aucune sexualité.
Le choc
pour moi a été le film « When night is falling » : j’y suis
allée seule, à 19 ans, et j’ai tremblé comme une feuille enfoncée dans mon
fauteuil, rassurée par la salle obscure, rougissante jusqu’aux oreilles. Ce
film m’a sortie de moi, de mon isolement : il existait donc des filles,
apparemment banales, qui pouvaient même être sur le point de se marier, et qui
succombaient au charme d’une fille. C’était aux antipodes de « Gazon
maudit », un film qui a failli me rendre hétéro et qui est sorti la même
année. C’est à ce moment-là que l’inquiétude a grandi. Qu’allais-je faire de ma
petite carcasse ? Rester planquée ?
La
question de la visibilité s’est posée d’une façon nouvelle pour moi : ce
film m’a inoculé le besoin d’en voir d’autres, de voir des histoires
romantiques et concrètes en même temps où des femmes s’aiment entre elles –
sans drame. J’ai commencé à regarder de nouveau les filles. Mais pas si facile
de tomber en pamoison toutes les deux minutes comme dans l’enfance, quand
pendant près d’une dizaine d’années, je faisais tout pour ne rien voir.
Ce qui
a tout changé dans ma vie est internet : la possibilité de poser toutes
les questions que j’avais dans ma petite tête, bien planquée derrière un écran
et un clavier d’ordinateur. Je me suis inscrite sur un premier forum consacrée
à une série britannique (Bad Girls) qui ne passait pas en France (sauf sur le
câble) et dont je suivais non pas les épisodes mais les extraits du couple
fétiche « Nikki et Helen ». Il m’a beaucoup aidée et il m’a permis de
rencontrer la femme qui partage ma vie aujourd’hui. Puis le site a fermé. Cela
ne m’a pas manqué. Car il y avait d’autres ressources, en particulier le site
« AfterEllen » qui a marqué un tournant. Il m’a permis de poser la
question de la visibilité à un autre niveau – plus intellectuel.
Quand
j’ai découvert le site d’Isa, « Univers-L », je ne me suis pas
inscrite tout de suite sur le forum (en novembre 2008) : j’ai beaucoup lu
les rubriques de films, de séries, les coups de cœur musicaux. Je ne sais
toujours pas trop ce qui m’a poussée à écrire. J’y revenais. Quand Isa m’a
demandé d’écrire une rubrique consacrée aux lesbiennes du passé – j’avais
ouvert un topic sur le forum consacré à ce sujet (j’étais d’ailleurs la seule à
l’alimenter) – j’ai accepté assez vite. Pour elle. Parce que ce site,
personnel, me plaît. Dans l’histoire, la question de la visibilité se pose
encore autrement : comment trouver des traces de femmes qui ont aimé les
femmes ? Comment ne pas les réduire à des catégories hyper construites aujourd’hui
mais qui n’existaient pas alors ?
Ce qui
me trouble le plus dans ce parcours, c’est que je vais vers la visibilité (j’ai
fait mon coming-out à mes parents et certains collègues sont au courant) alors
que je suis une planquée de première et qu’enquêter sur les
« lesbiennes » du passé est devenu une part importante de ma vie
alors que cela ne fait pas partie de mes objets de recherche dans mon
« autre » vie. Alors les caméras braquées dans la salle de Lille,
après quelques heures seulement passées avec des super nanas que je ne connais
que virtuellement, ce n’était juste pas possible…
Magali Lehane, sans ‘e’ s’il vous plaît est
la directrice des projets spéciaux du site et relectrice attitrée. Son rôle est
à la fois d’avoir des idées géniales et de soutenir celles, on ne peut plus
farfelues de la cheffe tout en supprimant les fautes que celle-ci s’amuse à
disséminer aux quatre coins de ses écrits.
Il est
amusant de voir comment un événement particulier peut vous amener à vous poser
des questions que vous ne vous êtes jamais réellement posée auparavant. Ici en
l’occurrence c’est une soirée à Lille qui a posé sur le tapis une intéressante
réflexion : le fait d’œuvrer pour la visibilité lesbienne (et même plus
largement, tout simplement de participer à un événement en lien avec une
thématique LGBT) vous oblige-t-il par là même à monter sur scène, sous les feux
des projecteurs ?
Pour
faire simple et très résumé, l’équipe Univers-L a assisté à une soirée
projection-débat autour d’un film lesbien. Quelle ne fut pas notre surprise
d’être accueillies à notre arrivée par des caméras et appareils photos qui ne
nous lâchaient pas d’une semelle. J’avoue avoir été étonnée, car certes les
caméras pour filmer le débat ne me gênaient pas, mais je n’ai pas compris
l’intérêt de garder une caméra en plan fixe sur le public de cette toute petite
salle. Etait-il vraiment nécessaire de garder deux caméras et un énorme
appareil photo braqués en permanence sur les spectatrices ???!!
N’aurait-il pas été plus judicieux de se contenter de plans rapides, en
demandant l’autorisation aux intéressées bien sûr ? Il en a découlé une
ambiance étrange et tendue, puisque toutes les personnes venues assister à la
séance se sont trouvées mal à l’aise et gênées. Et il y avait de quoi, car non
seulement la présence des caméras n’a été annoncée qu’au moment d’entrer en
salle (alors que le billet était déjà acheté donc), sans possibilité de les
refuser, mais il faut se rendre à l’évidence : aucune personne ne pouvait
lever ne serait-ce un sourcil dans l’assistance sans que le mouvement n’ait été
enregistré sous toutes les coutures…!
Le
contraste a été saisissant avec le festival Cineffable, dans lequel je m’étais
sentie comme un poisson dans l’eau. Il y avait certes des caméras là-bas aussi,
mais chaque personne était libre de refuser d’apparaître sur les images. Ici le
deal était clair : aucune image ne pouvait être filmée sans autorisation.
Alors qu’à Cineffable l’ambiance était légère, les questions fusaient et tout
le monde discutait, à Lille l’ambiance était au contraire pesante, les filles
présentes (oui car il faut bien avouer que la plupart des personnes présentes
étaient de sexe féminin) (étonnant pour la projection d’un film lesbien vous
croyez ??) étaient crispées dans leurs sièges et n’ont pas forcément
participé comme elles auraient pu le faire sans tous ces objectifs à l’affût.
Oui car il faut bien avouer que ça en a perturbé (et refroidi) plus d’une de
voir accourir plusieurs appareils photos dès qu’une personne prenait la parole…
J’avais
beau ne rien avoir contre le fait d’apparaître sur certaines images, il n’en
reste pas moins que j’ai été vraiment dérangée par l’idée qu’on ne laisse pas
le choix aux gens. De nombreuses femmes voulaient assister à la séance en
simples anonymes, pour profiter de la présence d’une réalisatrice qu’elles
apprécient. D’autres personnes ne souhaitaient tout simplement pas que leur
visage apparaisse sur des photos ou des vidéos. Pourquoi leur imposer d’être
filmées et mitraillées par des appareils photos ??? Et même si je n’étais
pas gênée à l’idée d’apparaître sur certains plans, j’avoue avoir été très mal
à l’aise et avoir eu l’impression d’être presque traquée par cette caméra qui
restait braquée sur moi sans se détourner une seule fois… Et dans n’importe quel
autre contexte je l’aurais été je pense. Vous vous imaginez vous d’aller au
ciné et d’être filmé sans discontinuer pendant toute la séance ?? Perso
c’est le genre de truc qui me donne envie de m’enfuir en courant…! Et je trouve
cela dommage, car je suis sûre que cela a gâché la soirée de pas mal de
personnes ce soir-là…
Bon
finalement ce n’était pas si résumé que ça mon histoire, mais ce qui est
intéressant, c’est que cette anecdote nous amène à nous interroger sur la
question de visibilité. C’est une question à laquelle on ne peut répondre sans
se référer à son vécu personnel, mais aussi à sa manière d’appréhender les
choses. Pour moi, œuvrer pour la visibilité ne nécessite pas forcément d’être
visible. Certes les avancées en ce qui concerne les droits homosexuels doivent
beaucoup aux luttes d’hier, et à celles qui se poursuivent aujourd’hui pour les
conserver et les garder intacts, mais les personnes qui ont œuvré hier pour la
visibilité étaient-elles pour autant toutes visibles ? Je ne le crois pas.
Il y a toujours eu (et il y aura toujours) un savant mélange de personnes
portant l’étendard et de personnes travaillant dans les coulisses. C’est comme
Alfred vis-à-vis de Batman, ou comme Rafiki vis-à-vis de Muphasa (je sais j’ai
des super références !) : des personnes oeuvrant dans l’ombre telles
de petites fourmis pour aider le héros à atteindre son but, à faire passer un
message. Non car sans rire, vous connaissez le nom de tous les collaborateurs
de Harvey Milk par exemple, ceux qui ont rédigé ses discours avec lui ?
Vous connaissez leurs visages ? Non. Pour la simple et bonne raison que ce
qui importe, ce n’est pas cela, on s’en fiche ; ce qui importe, c’est le
résultat obtenu derrière la figure charismatique d’un leader et surtout le plus
important c’est le message véhiculé.
Si je
devais me catégoriser (le comble pour une personne qui déteste les étiquettes),
je me classerais sans hésiter dans la seconde catégorie. Je n’ai pas la
prétention de mener un combat tellement intéressant et fort que je serais obligée
de monter sur scène. Loin de là. Si j’ai commencé à travailler sur le site
Univers-L, ça a été pour soutenir Isa, pour l’aider à améliorer ce site que
j’appréciais tant depuis déjà un moment avant de commencer à échanger avec
elle. Bien sûr, cela a été pour moi une manière d’apporter une pierre à
l’édifice Univers-Lien (j’aime inventer des mots), mais au-delà, cela a été une
façon de contribuer à améliorer la visibilité lesbienne (même ultra minime). Je
ne suis pas une militante, dans le sens où je ne harangue pas les foules pour
faire passer un message. Je n’ai pas accroché de drapeau arc-en-ciel à la
fenêtre de mon appartement. Je ne passe pas mon temps à lire des livres
lesbiens ou à regarder des films lesbiens. Non, je suis une personne qui apprécie
la diversité et on ne peut plus banale. Au final, qu’est-ce que je fais pour la
visibilité ? J’écris juste des news sur l’actualité, je relis chaque texte
publié avec mon radar à fautes en marche pour qu’ils en soient vierges sur le
site, je m’amuse à mettre au point des projets dingues, je fais quelques
traductions, etc. Mais pour lire ce que j’écris ou apprécier mon travail,
est-il pour autant nécessaire aux lectrices du site de savoir exactement à quoi
je ressemble ? Assurément que non. Vous la connaissez la tête des
journalistes qui écrivent dans les journaux locaux par exemple vous ?
En
résumé je ne suis qu’un maillon de la chaîne, un tout petit maillon qui aime se
dire qu’elle aide peut-être des personnes à accéder à des informations
auxquelles elles n’auraient pas forcément accès autrement. Je suis juste
quelqu’un d’ordinaire qui adore lire, regarder ou écouter les œuvres de
personnes qui elles sont extraordinaires et qui aime encore plus le fait de
partager ces informations avec d’autres, pour en améliorer la visibilité, voilà
tout.
Gaëlle Carrion est la traductrice attitrée du
site univers-L.com. Anglais/Français, Espagnol/Français, on regrette qu’elle ne
soit pas suffisamment douée en Allemand pour se charger des soaps operas mais
bon, on ne va pas faire la fine bouche, trois langues officielles à elle toute
seule c’est déjà pas mal.
Sortez les stylos vous avez
4h ! Désolée mais en voyant le titre de l’article d’Isa et son mail
l’accompagnant nous demandant de nous pencher sur la question, je n’ai pu
m’empêcher de penser à ces longues heures de dissertation ayant accompagnées
mes années lycée.
L’article d’Isa ainsi que
l’interrogation qu’elle soulève, m’a quelque peu surprise au premier abord,
pour la simple et bonne raison que je ne m’étais jamais posé la question.
Travailler sur le site Univers-L est venu comme un cheveu sur la soupe pour moi
(très belle expression pas assez usitée à mon goût de nos jours… bref…). J’ai
d’abord été recrutée pour mes compétences linguistiques, je parle espagnol et
l’équipe était en plein projet « Los Hombres de Paco », c’est donc
tout naturellement que ma collaboration avec l’équipe a commencé pour de
simples traductions de vidéos. Je trouvais que cette série offrait une image
positive d'un couple de femmes. Deux femmes qui apprenaient à s’aimer,
naturellement, qui sont acceptées et dont le couple est traité exactement de la
même façon que les autres couples hétéros de la série. Je trouvais dommage que
des gens puissent passer à coté de cette superbe série, j’ai donc foncé tête
baissée et j’ai commencé les traductions des extraits.
Je ne me suis alors jamais sentie
combattante de quoi que ce soit. Mon seul objectif était davantage lié au
partage, je voulais juste permettre aux gens de pouvoir comprendre une vidéo,
un article, une news qui n’étaient pas dans leur langue.
Je passe beaucoup de temps sur
les sites internet étrangers, américain, anglais ou espagnol, et je trouve cela
dommage que la barrière de la langue, empêche certaines personnes d’avoir accès
à une information.
Donc déjà la première partie de
la question : « Œuvrer pour la visibilité homosexuelle » me
bloque un peu, car je n’ai pas l’impression d’œuvrer pour quoi que ce soit… Les
gens qui œuvrent dans ce sens se sont pour
moi les gens qui créent, à travers des films, des séries, des livres,
des textes… Ce sont des gens qui s’investissent et se battent pour des idées,
des droits…
A mon petit niveau, je ne fais
rien de tout ça. Je ne suis qu’un maillon de la chaîne de la communication qui
permet aux gens d’accéder à une information en la retranscrivant, et à vrai
dire cela me convient parfaitement. Et c’est peut-être même un peu égoïste de
ma part car dans le fond, je le fais car cela m’intéresse et que ces infos je
les cherche aussi pour moi !
Ensuite la deuxième partie de la
question « oblige-t-il à être visible ? »… (J’aurai aussi pu
vous faire un plan plus construit avec thèse / antithèse / synthèse… mais
non…).
Je ne voulais pas être visible au
départ lorsque j’ai commencé à travailler sur le site univers-L. Je ne voyais pas l’intérêt de savoir que
c’était moi qui avait fait telle ou telle traduction, ça aurait tout aussi bien
pu être Gertrude, Micheline ou Cunégonde, finalement qu’est-ce que cela aurait
changé ?
Je ne veux pas forcément que mon
nom apparaisse sur tout ce que je fais, ce n’est pas important pour moi, je
suis juste contente quand les gens sont contents de pouvoir accéder à quelque
chose qu’ils ne comprenaient pas ou ne connaissaient pas.
Je suis heureuse de pouvoir
interviewer telle ou telle personne de temps en temps (surtout lorsqu’il s’agit
de Shamim Sarif… Ah Shamim…bref, je m’égare…). J’aime chercher des informations
sur tout ce qui pourrait intéresser notre petite communauté, mais finalement
que ce soit moi ou une autre personne cela ne change absolument rien !
Donc pourquoi être visible ?
Je ne cherche pas de reconnaissance et je ne me suis pas particulièrement
distinguée pour avoir amené quoi que ce soit de particulier dans notre bas
monde.
Je suis ce que je suis, une fille
qui aime les filles, et qui aime fouiner sur le net pour trouver des infos qui
pourraient intéresser (ou pas…) des filles comme moi ! Rien de plus…
Alors oui, par contre, ces
caméras braquées sur nous pendant l’interview et la projection avec Shamim Sarif et Hanan Kattan m’ont
dérangée. Pourquoi ? Tout simplement, car je ne souhaite pas spécialement
être sous les projecteurs et que dans ce cas particulier, nous n’avions pas le
choix ! Et c’est finalement cette absence de choix qui m’a le plus mise en
colère… Le risque qu’un de mes collègues de boulot tombe sur la vidéo est
finalement, soyons honnête, presque nul. Alors pourquoi cette appréhension face
aux caméras ?
Car nous nous trouvions dans un
contexte un peu particulier : première rencontre de l’équipe, nous nous
étions retrouvées depuis à peine quelques heures. J’étais en ce qui me concerne
en stress total avant l’interview (car même si je n’arrêtais pas de me la
jouer, « mais non je stress pas » je crois que personne n’était
dupe…), et là, la douche froide, les caméras…
Et c’est finalement cette
intrusion dans mon intimité, dans ma vie privée qui m’a dérangée. Ce moment
privilégié avec l’équipe à Lille, je ne tenais pas forcément à ce qu’il soit
gravé sur une vidéo. Ce moment il m’appartenait et c’est un peu finalement
comme si on m’en volait une partie…
Virginie Pécoult est la première personne à
s’être lancée dans l’aventure Univers-L. Passionnée de séries télévisées et
par-dessus tout de mangas et de culture japonaise, elle a eu très rapidement sa
rubrique où elle a offert de mémorables analyses des rapports entre femmes dans
les animés avec l’incontournable relation Anthy/Utena par exemple.
Œuvrer
pour la visibilité homosexuelle oblige-t-il à être visible ?
Ceci
n'est pas le prochain intitulé du bac de philosophie, ou du moins pas à ma
connaissance. Toutefois, si en juin cet énoncé se retrouve sur les copies de
cet examen, nous aurons la preuve que notre cheffe bien aimé, possède le don de
voyance, en plus de tous les autres super-pouvoirs que nous lui connaissons
déjà. Mais pour l'instant, il s'agit simplement du sujet sur lequel Isa nous à
proposé de réfléchir, nous, forces vives du site Univers-L.
Cette
question, comme Isa l'explique si brillamment (ça va finir par se voir que je
fayote un peu là, non ?) lui a été inspirée par notre voyage à Lille. C'est un
choix intéressant, personnellement si j'avais dû extraire une idée sur laquelle
débattre, j'aurais plutôt opté pour un sujet autour des premières fois, car ce
séjour en a été rempli. En effet, il s'agissait de mon premier voyage à Lille,
du premier rassemblement de la quasi totalité de l'équipe, de ma première
rencontre avec LA « Isa » du site Univers-L (elle existe vraiment, je peux en
témoigner) et aussi et surtout de la première interview recueillie en direct
live du site.
Cette
liste est loin d'être exhaustive, il y aussi par exemple, la première fois où
j'ai pris ma douche dans la plus petite salle du bain du monde ou bien encore
la première fois où j'ai pris le métro de Lille libre de tourniquet. Au vu de
ces deux derniers exemples, je me rends compte du potentiel d'une telle
discussion, c'est pourquoi je propose une rencontre-débat autour de ce thème le
22 août à 14h45 au café « Chez Henriette et Ginette » à Monestie dans le Tarn.
Mais
avant de régler les derniers détails de cet événement international, je vais
rendre hommage à l'éclair de génie d'Isa, en répondant à sa question.
Dans le
cas précis de la projection de « The World Unseen » à Lille, la réponse nous a
été imposée, le choix induit par la question d'Isa, ne s'est pas posé puisque
les caméras étaient là, et filmaient sans que nous puissions échapper au
dispositif mis en place. Nous n'avons même pas eu droit à une explication pour
qu'on comprenne l'intérêt et le devenir de cette prise d'image.
Sur
l'échelle de valeur de la visibilité, je dirais que je me situe entre « je suis
marié avec un homme » à « j'ai le mot lesbienne tatoué sur le front », le champ
des possibles est infini, n'est-ce pas. Il est certain qu'œuvrer pour la
visibilité lesbienne me rapproche plus du dernier échelon que du premier, mais
je veux avoir le choix en fonction de la situation dans laquelle je me trouve
ou des personnes qui sont en face de moi de mettre en avant ou pas cette
information.
Je
prône donc la visibilité maîtrisée et pas imposée.
Magali Pumpkin sans ‘e’ pour elle aussi, est
la dernière arrivée sur le site Univers-L. Si on vous le demande, non, elle
n’est pas bilingue, elle comprend juste quelques mots d’anglais lui permettant
de traduire de magnifiques et incontournables interviews, ni plus ni moins.
Pour
une question, c’est une bonne question, que j’entends traiter au sens large.
Et je
préfère te prévenir tout de suite, cher lecteur, que dans cette prose, des
bonnes questions, je m’apprête à en poser beaucoup… à défaut d’y apporter des
réponses.
Traditionnellement
et historiquement, tous les supers héros ont toujours opéré masqués, c’est bien
connu. Et pourtant, tout le monde s’accorde à dire que les supers héros ont du
courage à revendre. Serait-il envisageable alors, qu’il existe de « bonnes
raisons » de vouloir rester invisible ?
L’invisibilité n’aurait-elle rien à voir avec le fait « d’occuper le
terrain » ? Pourrait-on servir une cause sans pour autant lui prêter son visage
? Mieux encore, pourrait-on s’effacer au profit de cette cause ?
Personnellement,
je pense qu’il n’y a pas une, mais des façons d’être visible, tout comme il
n’existe pas une mais un million de façons de vivre son homosexualité. Je suis moi-même invisible. D’apparence
banale, je ne me balade pas avec un T.shirt « Personne ne sait que je suis
lesbienne » et ne fréquente pas non plus les bars lesbiens. Bien planquée, me
direz-vous… Pourtant, je défile à la Gay Pride tous les ans, à visage découvert et
sans me cacher. J’écris chaque semaine pour un site Internet qui prône la
visibilité lesbienne. Je suis sortie du placard en famille, au travail. On ne
peut donc pas me qualifier de « planquée » non plus.
Énervant
ces gens à qui on ne peut pas coller d’étiquette, pas vrai ? Je fais partie de
ces personnes qui œuvrent modestement, à leur échelle, en faisant ce qu’elles
pensent être juste, sans pour autant dépasser leurs limites.
La gay
pride ? Oui, mais sans plumes dans le c… Ecrire pour un site ? Oui, mais
pourquoi y mettre des visages quand les mots sont tellement plus parlants ?
Il est
intéressant de voir que notre propre communauté est en perpétuelle
transformation. Après le fracassant plein phare sur les lesbiennes lipsticks de
L Word, voici que débarquent tout tranquillement LLI : les lesbiennes
invisibles (dont OceaneRosemarie se fait la porte parole) Nous découvrons ainsi
que des « degrés » de visibilité existent. Que nous n’avons pas tous les mêmes
aspirations, les mêmes revendications…
De tous
temps les différences dans la façon de militer pour une cause ont créé des
clivages. Les ultras, les modérés, les extrémistes, les entre-deux. Même chose
pour la visibilité. Vous ne voulez pas être filmé ? On se passera de votre
consentement. Vous souhaitez garder votre orientation sexuelle pour vous ? Un
bon outing se chargera d’officialiser tout ça.
Où se
situe la mince frontière entre visibilité et exhibition ? Entre liberté d’informer et délation ? A
notre époque, a-t-on encore le choix de rester invisible ?
J’avoue
que ça devient de plus en plus compliqué, quand même la vieille guichetière
hétéro de la Poste
sait repérer une lesbienne à 300m grâce au dossier du mois qu’elle a lu dans
Femme actuelle. Je rêve pourtant d’un monde ou l’on pourrait s’afficher sans
craindre la prison, mais aussi d’un pays où l’on pourrait vivre une paisible
existence dans son coin si le cœur nous en dit, sans susciter insultes ou
curiosité mal placée. Et encore moins, la désapprobation de nos pairs...
Je vous
avais promis des éléments de réponse, mais surtout des questions. Celle-ci sera
la dernière : Vaut-il mieux selon vous avoir un visage ou une voix ? A méditer,
sans aucun doute…
Quant à
moi, je me drape dans ma dignité et dans ma cape d’invisibilité et vous tire ma
révérence pour cette fois !
[Pour
une disparition avec effet dramatique garanti, je vous remercie d’imaginer un
rideau de fumée et un bruit de tonnerre]
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