samedi 5 novembre 2011

De l'intérêt des Révisions


© Jean-Pierre Pyat

Il était 19h06. Elle révisait depuis qu’elle avait quitté son travail à l’hôpital, à 16h30. Fatiguée après sa journée, elle avait mis ses fines lunettes et s’était allongée sur son lit, entourée de ses cours. Les feuilles de papier imprimées et manuscrites étalées devant et autour d’elle. Au milieu de ce chaos qu’elle considérait comme un classement avancé, Marie était installée sur le ventre, le menton posé sur une main, absorbée par les documents. Sa lampe de chevet diffusait une douce lumière dorée alors que le jour avait lentement décliné en ce début d’hiver.
Perdue dans l’étude des différentes phases du développement d’un médicament, elle n’entendit pas la porte d’entrée s’ouvrir à l’autre bout de son petit appartement. Elle ne perçut pas non plus le verrou se fermer. Une jeune femme brune se déchaussa sans faire de bruit dans le hall d’entrée, quitta son long manteau ainsi que son écharpe et les suspendit tranquillement dans le placard. Elle se passa ensuite une main glacée dans les cheveux pour les réordonner un peu après le dernier coup de vent. Même si la sonnette défectueuse l’y aidait, elle ne cherchait pas particulièrement à être silencieuse, mais l’idée de surprendre Marie lui plaisait.
Valérie se rendit d’abord dans la cuisine, étonnée de ne pas sentir de bonne odeur de repas. Là, elle fut surprise de ne trouver personne. La pièce était vide. La table propre. Seul un bol, une cuillère et un couteau séchaient dans le bac prévu à cet effet sur l’évier.
Dans un réflexe conditionné, son ventre se mit à gargouiller. Marie n’avait rien prévu et elle mourrait littéralement de faim après sa journée passée à donner des cours à l’Université de Pharmacie. La surprise était tout de suite beaucoup moins intéressante que ce qu’elle avait imaginé. Et pour cause, Marie semblait avoir oublié sa venue. Valérie se dirigea vers le bureau, où elle ne trouva personne, avant d’opter pour la chambre. Là, elle découvrit Marie, allongée sur son lit, entourée d’une impressionnante masse de documents. Elle secoua la tête en souriant et s’adossa au montant de la porte en déclarant : « Ça fait vraiment plaisir de voir qu’on est attendue ! »
Marie sursauta. Son rythme cardiaque s’accéléra brusquement à cause du bruit et elle tourna la tête d’un coup, surprise. En reconnaissant Valérie, elle poussa un long soupir de soulagement le temps de retrouver une contenance.
- T’es dingue ! Tu m’as fait peur ! On t’a jamais appris à frapper avant d’entrer ?
- J’ai frappé plusieurs fois mais personne ne m’a ouvert. T’as qu’à faire réparer ta sonnette. Tu te rappelles quand même que tu m’as invitée à manger, non ? demanda Valérie ironiquement en l’interrogeant du regard.
- Bien sûr que je me rappelle. J’étais là je te signale. déclara Marie en reculant sur son lit et en ôtant ses lunettes pour se frotter les yeux avant de se lever et de s’approcher de la petite brune.
Valérie jeta un coup d’œil à sa montre et lui lança : « Mes dix minutes de retard t’ont laissé penser que je ne viendrai pas ? »
Marie s’avança sensuellement en direction de Valérie tout en ôtant sa casquette bleue au logo de Superman, ce qui libéra sa longue crinière blonde. Elle la jeta négligemment derrière elle, sur le lit, puis ordonna ses cheveux d’un geste rapide. Debout devant Valérie, elle posa ses mains sur la taille de cette dernière et l’attira à elle pour l’embrasser. Elle posa ses lèvres sur celles, fraîches, de la jeune femme. Ce baiser et le léger sourire qui l’accompagna firent comprendre à Valérie que finalement, elle était bien attendue.
- Pourquoi tu dis ça ? demanda Marie une fois leur baiser rompu.
- Tu n’aurais pas oublié de préparer le repas par hasard ? l’interrogea Valérie, amusée et charmée par l’incompréhension manifeste de sa compagne.
- Non… J’ai le temps… hésita alors Marie en réalisant que si Valérie était arrivée, il y avait comme un problème de ce côté-là. Elle se retourna et se contorsionna pour arriver à lire l’heure sur son radioréveil. Les chiffres lumineux verts lui renvoyèrent un horaire dont elle n’avait absolument pas conscience. Le temps avait filé plus vite qu’elle ne s’y attendait. Heu… Elle se retourna vers Valérie et lui sourit, contrite. Ses mains étaient toujours posées sur les hanches de la jeune femme qui semblait plus amusée qu’autre chose. Tu as faim je suppose ? Tu veux quoi ? J’ai rempli mon frigo.
- Tu n’as pas vu le temps passer, c’est ça ?
- Je révisais. Désolée.
Marie prit Valérie par la main, gênée de s’être laissée rattraper par le temps. Elle avait pourtant prévu plein de choses pour cette soirée qu’elle attendait depuis une semaine. Son idée de menu était géniale mais il aurait fallu, pour bien faire, qu’elle ne se plonge pas dans ses cours en arrivant. La jeune femme entraîna Val à sa suite dans la cuisine et ouvrit la porte du réfrigérateur en grand devant elle pour lui prouver sa bonne foi.
- Tu veux un morceau de fromage pour patienter ? J’avais prévu une salade de tomates en entrée avec des petites parts de râpée…
- Laisse tomber tout ça. On va aller à la facilité. Ce congélateur ne recèlerait pas une pizza 4 fromages par hasard ? l’interrogea Valérie en lui montrant la petite porte en haut du frigo.
- Si… murmura Marie pas très fière de se savoir aussi prévisible après quelques mois seulement.
- Parfait. Je ne suis pas vraiment venue pour découvrir l’étendue de tes talents culinaires.
- Comme l’a si bien expliqué Lois à Clark, « ce n’est pas un manque de temps, c’est un manque de talent. » rajouta la jeune femme, heureuse de la déclaration de Valérie.
- Tu m’en diras tant.
Marie ouvrit son congélateur et s’empara d’une pizza qu’elle déposa sur la table de la cuisine. Elle alluma le four après avoir sorti la plaque qu’elle déposa sur la gazinière le temps de la recouvrir de papier aluminium. Pendant qu’elle libérait la pizza de son emballage, Marie se sentit obligée d’ajouter :
Depuis que j’ai lu « Le Beau Rôle » de Gun Brooke, j’ai découvert que faire cuire une pizza au four pouvait être considéré comme cuisiner.
- Ah bon ? Parce qu’il se passe quoi dans ce livre ? demanda Valérie sceptique en la regardant faire.
- La nana elle met la pizza au four avec ce carton dessous et il fait tellement de fumée en chauffant qu’il déclenche l’alarme incendie ce qui fait venir les pompiers en urgence. Or moi, je sais qu’il faut enlever la plaque en carton !
- C’est la raison pour laquelle tu n’as pas d’alarme incendie ? Au cas où… répliqua Valérie amusée en tirant une chaise sur laquelle elle s’assit.
- Très drôle. Ha ha ha. rétorqua Marie moyennement amusée.
- D’ailleurs, à propos d’alarme, il faudrait vraiment que tu apprennes à fermer ta porte d’entrée à clef.
- Je t’attendais ! J’avais laissé ouvert parce que je t’attendais ! la coupa Marie avant que la jeune femme ne lui énumère les règles de sécurité de base quand on vivait dans une grande ville.
- Ok. Ok. Je ne dis plus rien. Valérie leva les deux mains en signe de reddition. Elle lui avait déjà fait la leçon à deux reprises. Il valait mieux ne pas réinsister sur le sujet. Tu en es où de tes révisions ? demanda-t-elle en revenant sur un sujet plus neutre.
- J’avance pas. soupira Marie, soulagée de la nouvelle orientation de la conversation. J’ai pas encore commencé tes cours. Là, je me suis attelée au circuit du médicament.
Valérie sourit. Elles s’étaient rencontrées quelques mois plus tôt, au début de la formation de Marie. Cette dernière travaillait depuis plusieurs années comme assistante de recherche clinique dans un service d’oncologie médicale. Elle avait réussi à convaincre ses patrons de l’intérêt de lui payer une formation validante, ce qui lui avait permis de débuter un DIU en septembre. Valérie, elle, était chargée de donner certains cours. Pharmacienne spécialisée dans le droit, elle était employée par une grosse entreprise pharmaceutique dont l’un des sièges était basé à Lyon. Marie était venue la remercier pour la qualité de son intervention, à la fin de l’un de ses cours. Elles avaient commencé à discuter et une chose en entraînant une autre, elles se fréquentaient à présent depuis plus de trois mois. Valérie habitait dans le centre de Lyon, à 20 minutes de son bureau. Marie vivait quant à elle en périphérie de la ville, à 10 minutes de son hôpital. Le problème résidait dans le fait qu’il leur fallait 20 minutes pour aller d’un appartement à l’autre quand il n’y avait pas de circulation, mais une heure le reste du temps, lorsque les automobilistes et autres travailleurs ne pouvaient être ignorés.
- Tu veux que je t’aide ?
- Je ne vais pas t’embêter avec ça. Tu connais tous ces trucs en plus. Ne t’inquiète pas, je me débrouille. répondit Marie l’air faussement tranquille en s’asseyant sur une chaise à côté de la jeune femme.
- Je ne connais pas tout, malheureuse ! s’exclama Valérie de manière faussement théâtrale.
- Tu en connais déjà plus que moi.
- Normal. Je suis pharmacienne. Et j’en connais encore plus que ce que je vous ai raconté en cours !
- C’est ça, vante-toi ! Vas-y ! Bel esprit, moi je dis ! Bel esprit ! déclara Marie en souriant, faisant référence à l’une des expressions préférées de ses frères.
- J’ai hâte de les rencontrer, tes petits frères. Juste pour voir la tête qu’ils feront quand je leur dirai que je connais cette expression.
- C’est comme toutes les expressions. Ça va, ça vient. Ils ne se souviendront peut-être même pas qu’ils l’employaient à tout bout de champ il y a quelques années. Maintenant ils en ont de nouvelles.
- T’es plus à la mode quoi ! Tu es vieille ! répliqua Valérie l’œil malicieux.
- C’est ça, je suis vieille ! Très vieille. Même que je n’aime pas leurs expressions actuelles. Je suis très vieux jeu.
- C’est sûr qu’à 29 ans, il n’y a pas plus vieux. Qu’est-ce que je dois dire avec mes 32 ans ? Ils te le livrent quand ton déambulateur ? Non, plus sérieusement, c’est quoi leurs expressions actuelles ?
- « Je me suis fait violer » et « c’est un truc de pédé ». répliqua Marie d’un air sérieux en fixant Val droit dans les yeux, avant de se tourner pour vérifier si le four en avait fini avec son préchauffage.
Valérie hésita un instant, le temps que Marie soit de nouveau face à elle. Elle était toujours étonnée par la capacité de cette dernière à passer si brusquement de quelque chose de léger à quelque chose de sérieux et vice versa. Celle-ci leva les sourcils interrogatifs pour savoir ce que Val avait à répondre à cela.
- Ça fait longtemps qu’ils utilisent ces nouvelles expressions ?
- Aucune idée. Mais ils les ont employées la dernière fois qu’on s’est vus. Séb se fait violer et Stéphane n’est pas un pédé.
- Qu’est-ce que t’as répondu ?
- Il aurait fallu que je dise quelque chose ?
- Ne réponds pas à une question par une autre question. C’est super désagréable.
- Les gens normaux diraient « c’est super chiant », tu sais. rétorqua Marie en souriant et en posant les deux mains sur les cuisses de sa compagne. J’avais déjà dit à Séb que j’aimais pas qu’il utilise le terme « violer » toutes les cinq minutes. Je n’allais pas recommencer. Ma mère a repris Stéph une première fois sur le coup du pédé et quand il l’a dit une deuxième fois, en me regardant fixement, je lui ai fait remarquer qu’il devait l’utiliser souvent. Il a répondu non, qu’il faisait juste ça pour m’embêter. Je lui ai répliqué que deux fois en un seul jour ça commençait à faire beaucoup. Il m’a dit que je ne vivais pas avec lui et que je ne savais rien de sa façon de parler. Il a raison. Ils habitent à 250 km d’ici.
- Ta mère a réagi ? demanda Valérie intéressée.
- Bien sûr. Tu sais bien que ma mère est de tous les combats pour le respect des personnes et des différences. ajouta simplement Marie en haussant les épaules comme on énonce une évidence.
- J’ai vraiment hâte de la rencontrer.
Marie se retourna pour jeter un nouveau coup d’œil au four. Le voyant du préchauffage étant éteint, elle se leva pour enfourner la pizza. Puis elle s’approcha de son plan de travail, s’empara de son minuteur en forme de tomate et le fit compter douze minutes.
- C’est quoi cette envie subite de rencontrer ma famille ? Tu les rencontreras… Un jour… Mais pour l’instant je profite de toi.
La jeune femme s’avança en direction de Valérie qui n’avait pas bougé de sa chaise. Elle posa une main sur chacune de ses cuisses et les lui écarta délicatement pour s’installer entre elles.
Et si j’utilisais tes talents pendant les dix minutes dont nous disposons ?
- 10 minutes c’est court. lui répondit Valérie en l’attirant encore plus près d’elle.
- 10 minutes ça me paraît largement suffisant au contraire. rétorqua Marie en se penchant vers son visage pour l’embrasser.
- Je maintiens que non.
- Je ne veux pas un cours complet non plus. ajouta Marie en se léchant lentement les lèvres. Juste une explication sur les principaux textes de loi relatifs aux essais cliniques. répliqua-t-elle alors en souriant et en s’éloignant soudain de Valérie pour se diriger dans sa chambre.
Cette dernière éclata de rire en se levant de sa chaise pour la rejoindre. Elle ne pensait pas à ces talents-là. Elle en avait d’autres en tête. La jeune femme sortit de la cuisine et traversa le couloir pour entrer dans la chambre.
Marie était à genoux sur son lit. Elle avait remis sa casquette de Superman et ses lunettes. Elle se retourna et tendit à Valérie les photocopies des cours qu’elle avait donnés à la Faculté de Pharmacie quelques mois plus tôt. Cette dernière reconnut le PowerPoint qu’elle avait réalisé et jeta à peine un regard dessus.
- Ok, vas-y. Je n’ai rien relu encore. Donc tu commences par des questions faciles. D’acc ?
- Entendu. Alors quelle loi définit le droit des malades ?
- Je t’ai dit facile !! s’exclama Marie en jetant un coussin au visage de Valérie qui s’était installée sur la seule chaise présente dans la pièce.
- Mais c’est facile. C’est de la culture générale. Tu travailles à l’hôpital depuis plus de 8 ans. Tu le sais.
- J’ai aucune mémoire des dates, merde. Je te l’ai déjà dit.
- D’accord. Donne-moi juste son nom alors.
Devant le silence de Marie et son air concentré, Valérie se leva de la chaise pour s’approcher d’elle. Elle souriait, amusée de la voir déjà en difficulté face à une question dont elle était persuadée qu’elle avait la réponse. Elle s’approcha du lit et attrapa Marie par les deux jambes pour la tirer vers elle. Cette dernière était sur le dos et faisait la moue, un peu vexée de devoir autant réfléchir. Valérie écarta doucement les jambes de Marie pour s’installer entre elles et déclara :
- Je propose la mise en place d’un système de récompense à chaque réponse juste.
Marie leva un sourcil interrogateur et l’observa gravement.
- Un système de récompense ? répéta-t-elle sans la quitter des yeux, appréciant ses mains posée sur ses jambes qui la caressaient négligemment.
- Hum. Hum. Un baiser à chaque réponse juste.
- Un baiser, c’est tout ? Et qu’est-ce que j’y gagne moi ? répondit Marie en retrouvant son air espiègle.
- Espèce de… s’exclama Valérie en prenant un coussin sur le lit et en frappant la jeune femme qui éclata de rire.
Marie encercla Valérie de ses jambes et la fit basculer au-dessus d’elle sur le lit. Elle riait toujours en attirant le visage de cette dernière tout près du sien. Leurs corps se touchaient et malgré la notion de jeu, le désir refaisait surface plus rapidement qu’elles ne s’y attendaient. Valérie s’appuya sur ses bras de chaque côté de la tête de Marie tout en souriant. Elle lui ôta sa casquette qu’elle jeta hors du lit, puis passa la main dans ses cheveux avant de descendre sur l’arrête de sa joue et de s’arrêter sur ses lèvres. L’air se chargea de désir tandis que Marie entrouvrait les lèvres pour s’emparer du doigt de Valérie qu’elle suça quelques secondes. Leurs yeux se trouvèrent.
- Je propose mieux. À chaque réponse juste mais incomplète, un baiser. À chaque réponse juste complète, tu enlèves un vêtement.
- C’est une proposition très tentante. répondit Valérie. Mais et toi ? Tu restes habillée ?
- Je sais pas… On verra… hésita la jeune femme et essayant de capturer les lèvres de sa compagne pour lui voler un baiser.
- Non. Non. Pas de récompense à l’avance. Alors, quelle loi définit le droit des malades ? demanda Valérie en restant allongée sur le corps de Marie tout en éloignant suffisamment son visage pour être inaccessible.
- Je dirais la loi du je sais pas, je sais pas 2002 dite loi Kouchner parce que soutenue par Bernard Kouchner quand il était ministre de la santé. Elle est appelée loi « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ».
- Tu connais le nom exact de la loi ? l’interrogea Valérie surprise qu’elle en sache autant.
- Oui, c’est marqué sur une affiche à la sortie du self.
- J’ai gagné un baiser et un vêtement en moins là, non ? sourit Marie en posant les deux mains sur la taille de la jeune femme qui la dominait pour que leurs corps se fondent encore plus l’un dans l’autre.
- Juste un baiser. Il manque un jour et un mois.
- Je suis certaine que je peux les deviner si tu me donnes des indices.
- Des indices ? On n’a jamais parlé d’indices. s’amusa Valérie en jouant avec la chaîne que Marie portait autour du cou tout en caressant sa peau douce.
- Ben les indices ça permet de trouver des réponses complètes presque tout seul.
- Tu m’en diras tant.
- Deux petits indices de rien du tout et je suis certaine que je peux te faire ôter ce chemisier. déclara Marie en jouant avec un bouton du vêtement de Valérie.
- Ok. Deux indices. On va voir si tu sais compter. rétorqua cette dernière un sourire séducteur aux lèvres.
Valérie fit glisser l’une de ses mains jusqu’au bas du tee-shirt de Marie et le souleva légèrement pour dénuder son ventre. Elle y posa sa main tout en regardant dans les yeux la jeune femme, immobile et silencieuse. Elle traça négligemment un grand J avec l’un de ses doigts et déposa quatre baisers juste derrière. Elle se redressa le temps de tracer un grand M puis de déposer trois autres baisers, avant de se reculer et d’observer le visage de Marie. Cette dernière avait les yeux clos et sa respiration s’était accélérée au point d’être saccadée.
- Alors ? Cette date ? demanda Valérie en approchant sa main des lèvres de Marie.
- C’est le meilleur indice que j’ai jamais eu. répondit celle-ci d’une voix cassée par le désir. J’ai le droit de t’emmener à l’examen ?
Valérie éclata de rire tout en se perdant dans le regard azur de Marie qui venait de rouvrir les yeux.
- Je ne crois pas que ce soit possible. Alors, cette date ?
- 4 heu… Attends… Janvier… Février… Mars… compta la jeune femme à voix haute. Donc 4 Mars 2002.
- Gagné.
- J’ai droit à ma récompense alors.
- Hum. Hum. répondit distraitement Valérie en se penchant pour s’emparer des lèvres de son amante.
Le baiser aurait pu être doux et léger si elles n’avaient pas autant attendu. Mais elles en avaient tellement envie qu’il fut urgent et chargé de désir. Souhaitant par-dessus tout toucher la peau de Valérie, les mains de Marie se rendirent d’elles-mêmes sur les boutons du chemisier. Elle les défit trop lentement à son goût avant de pouvoir enfin glisser ses doigts et effleurer sa poitrine à travers son soutien-gorge. Celle-ci laissa échapper un soupir de contentement en détachant ses lèvres de celles de Marie. Elle enfouit son visage dans le cou de cette dernière pour essayer de calmer les battements désordonnés de son cœur et demanda après avoir repris un peu ses esprits :
- On avait dit un seul baiser je crois.
- On pourrait changer les règles. suggéra Marie en continuant de caresser sa poitrine.
- Arrête ça. Tu m’empêches de penser. déclara Valérie en lui attrapant les mains et en les emprisonnant dans les siennes. Elle changea de position pour s’installer plus confortablement à califourchon sur la jeune femme et souda son bassin au sien. Elle déposa leurs mains jointes derrière la tête de Marie alors que celle-ci avait le regard aimanté par sa poitrine.
- Tu as encore une chemise à enlever… déclara Marie en essayant de libérer ses mains.
- Ne bouge pas. l’interrompit Valérie. Je l’enlève toute seule cette chemise. Toi pendant ce temps tu réfléchis. Je veux le nom et la date de la première loi française ayant légiféré les essais cliniques.
Marie n’arrivait pas à se concentrer sur ce que disait Val. Son regard était captivé par ce qui était si prêt d’elle mais pourtant si inaccessible. Elle observa son amante défaire les deux boutons au niveau des manches avec une lenteur exaspérante avant de faire glisser le fin tissu sur ses épaules. Marie geignit, elle n’avait qu’une envie, pouvoir caresser cette peau qui s’offrait à elle.
- Alors cette réponse ? interrogea Valérie avec un petit sourire ironique voyant très bien le désir dans le regard de la jeune femme.
- Quelle réponse ? demanda Marie en levant les yeux vers le visage de Val, pas gênée le moins du monde d’avoir été prise en faute.
- La réponse à ma question. Quelle est la première loi française à avoir légiféré les essais cliniques ?
- Si j’ai la réponse, je t’enlève ce soutien-gorge. Moi, pas toi.
- Si tu as la réponse, je suis d’accord.
Marie sourit en se mordant la lèvre inférieure. Elle savait la réponse et c’était assurément la meilleure nouvelle de l’année. Ses mains vinrent d’elles-mêmes vers Valérie, comme mues pas une volonté propre alors qu’elle répondait :
- Loi Huriet Sérusclat, 88.
- Comment tu as retenu ça, je croyais que tu n’avais aucune mémoire des dates ? s’étonna Valérie sans bouger.
- On s’en fout, je veux mes récompenses. D’accord, mes frères sont nés en 88. ajouta-t-elle devant le regard interrogateur de sa compagne. Je n’ai aucun mérite. J’ai le droit à mon baiser maintenant ?
Valérie se pencha en souriant, posa délicatement ses mains sur les joues de Marie et l’embrassa une nouvelle fois. Ce baiser était moins urgent que le premier. Elles avaient toutes les deux conscience qu’elles n’avaient plus vraiment envie de suivre les règles. Val sentit les mains de Marie se poser sur sa taille et remonter dans son dos pour arriver à l’agrafe de son soutien-gorge. Elle le détacha d’un geste assuré. Le baiser s’intensifia et devint plus profond. Marie fit alors rouler Valérie sur le lit pour se retrouver au-dessus d’elle. Elles écrasèrent la totalité des papiers éparpillés sur le lit dans le mouvement mais elles s’en moquèrent royalement.
Pendant que Marie faisait remonter les bretelles du soutien-gorge le long des bras de Valérie, cette dernière caressait ses cheveux et gardait leurs lèvres scellées. Le monde autour d’elles n’existait plus. Elles seules comptaient. Les mains de Val glissèrent vers le bas du tee-shirt de Marie avec l’intention de lui ôter quand la sonnerie du minuteur retentit dans la cuisine, les surprenant toutes les deux.
Elles ouvrirent les yeux et écartèrent leurs visages le temps de reprendre un tout petit peu d’air. Elles sourirent ensemble devant cette interruption terriblement mal venue mais aucune ne fit mine de bouger. Marie hésita à se lever refusant de briser cet instant mais finit par s’y résoudre en déclarant «  Je vais sortir la pizza avant qu’elle ne brûle et n’attire la totalité de la caserne de pompiers chez moi. »
Elle se leva d’un bond et se précipita dans la cuisine avec une rapidité déconcertante. Elle éteignit le four, mit le gant de protection et sortit la plaque en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Elle ne voulait pas être là, elle voulait juste retrouver les bras de Valérie. Elle déposa la pizza sur la gazinière, ôta le gant qu’elle jeta négligemment sur la table de la cuisine et retourna presque en courant dans sa chambre.
Valérie était toujours sur le lit et enlevait les feuilles qu’elle empilait au pied de ce dernier.
- On en était où de ces révisions ? demanda Marie en enlevant son tee-shirt et en s’approchant de Valérie.
- L’année de la création de la directive européenne sur les bonnes pratiques cliniques pour les essais…
- Pas la moindre idée. déclara Marie en s’emparant de ses lèvres et en l’empêchant de terminer sa question. Et si l’indice comprend plus de 2000 baisers je ne pense pas être capable d’arriver à tous les compter.
- 2001… souffla Valérie en l’attirant contre elle.
- Je crois que j’adore les révisions. acheva Marie avant qu’elles ne s’embrassent toutes les deux passionnément.


Isabelle B. Price (Janvier 2010)

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