Je connais ma factrice X depuis
très peu de temps. En fait non, je reprends. Je connais ma factrice X depuis
plusieurs années. Il a juste fallu que j’ouvre les yeux, qu’elle ouvre les
yeux, puis que je sois prête, qu’elle soit prête et enfin qu’on se rencontre.
J’étais morte de trouille à
l’idée de rencontrer les membres de l’équipe il y a à peine deux mois de cela.
Je n’en avais pas réellement envie. Je ne souhaitais pas leur donner de visages
et les rendre humaines, protégée que j’étais derrière mon écran et mon clavier,
en sécurité. Et puis finalement, après plusieurs années à me cacher, il a fallu
que je prenne mon courage à deux mains et que j’assume ce que j’avais fait et
ce que j’étais. J’ai volontairement refusé de manger à midi avec elles pour
m’offrir un dernier moment de liberté.
Quand je les ai rencontrées pour
la première fois, toutes ensembles, à l’hôtel, j’étais dans le tourbillon du
moment et j’ai dit le truc le plus stupide qui soit : « Je suis
Isabelle. » Des fois qu’elles n’auraient pas pu additionner toutes seules
2+2, je leur donnais le résultat final.
Cette première formalité passée,
on s’est agglutinées dans la chambre aux trois lits. Il fallait qu’on bosse une
nouvelle fois sur les questions. On devait peaufiner les détails. Discuter avec
ma factrice X s’est avéré bien plus facile que je ne l’avais imaginé. Trop
facile même. Les autres étaient un peu plus en retrait ou alors je comprenais
moins ce qu’elles voulaient. Mais l’entente que nous avions développée depuis
quelques temps à discuter sur MSN en tête à tête, ma factrice X et moi, a fait
que j’étais à l’aise, tranquille.
Mon problème est vraiment apparu
quand elle a proposé qu’on prenne les 10 minutes de « préparation fille »
que nous avions prévues dans le temps organisationnel. Personne n’a souhaité se
remaquiller et elle a été la seule à aller se changer. Et quand elle est sortie
de la salle de bain, je n’ai pas pu la quitter des yeux. J’ai pensé une seule
et unique chose : « On est dans la merde. Rectification, je suis dans
la merde. » Oui, je me suis dit ça dans ma tête tellement elle était
belle. J’ai cru que je n’arriverai jamais à détacher mon regard d’elle. Je me
suis fait l’effet du loup dans Tex Avery quand il a le regard exorbité et la
langue qui pend par terre parce que mes yeux refusaient de regarder ailleurs
que sa poitrine. J’ai paniqué en me disant que ça allait se voir et que j’avais
l’air d’une fille qui ne sortait jamais de chez elle (ce qui était un peu le
cas mais quand même, normalement, je sais me tenir).
J’ai quitté ce week-end avec des
images plein la tête et un sentiment de bien-être terriblement rare et agréable.
Je m’étais sentie à l’aise et à ma place, vraiment, pour la première fois de ma
vie. J’ai gardé le souvenir de ma factrice X se changeant et d’autres petites
choses sans pour autant que j’imagine une seconde que quelque chose ne soit
envisageable avec elle. Elle était trop belle, trop confiante, trop jeune.
J’étais persuadée de n’avoir aucune chance.
Quand finalement on s’est
retrouvées, embrassées pour la première fois et qu’on a passé la nuit ensemble,
mes rêves les plus fous sont devenus réalité. Le plus incroyable c’est que
justement, je n’avais pas vraiment fait de rêve à ce sujet-là, préférant vivre
notre rapprochement et notre amitié qui devenait plus au jour le jour. La
réalité me comblait et je n’avais pas besoin de recourir à mon monde
imaginaire.
Il est difficile d’avoir l’air
détaché et de garder sa vie telle qu’elle est quand vous aimeriez donner une
place plus importante à l’autre. Plus exactement, il est difficile de garder
votre vie comme elle est quand l’autre prend une place aussi importante dans
celle-ci. J’ai beau me raisonner, me dire qu’il faut y aller doucement, prendre
son temps, apprendre à se connaître, je suis outrée de voir que je suis une
véritable lesbienne qui brûle allègrement les étapes. J’ai honte… enfin
presque.
On s’est vues seulement deux fois
si l’on fait abstraction de notre première rencontre, totalement platonique, à
Lille. On ne s’est vues que deux fois et pourtant, quand je suis rentrée de
chez elle, j’ai remis mon haut de pyjama en essayant d’y retrouver son odeur.
Je refusais de la laisser partir si facilement. Je refusais de penser que
j’avais rêvé ces moments. Je ne voulais surtout pas penser que j’avais pu
imaginer ce bonheur.
Quand vos attentes ont été
comblées et plus encore, il est normal de vouloir se rattacher à ses souvenirs.
Et en même temps, il est tellement plus agréable de vivre ces choses. C’est
tellement plus magique, tellement plus fort, tellement plus beau.
Sa présence s’éloigne de temps en
temps. Je reprends mon travail, je fais les travaux dans mon appartement, je bosse
sur le site Internet et elle n’occupe plus 100 % de mes pensées. Et j’ai pas
envie de ça. J’aime qu’elle soit omniprésente dans mes pensées. J’adore attendre
que mon téléphone sonne. J’apprécie d’aller sur ma boîte mail 30 fois par jour
en essayant de me raisonner et de me reprendre. Réussir à retrouver ma vie me
fait peur. Et si elle disparaissait comme elle est venue ? D’un coup,
subitement ?
Aujourd’hui, entre deux ablations
de faïence sur le mur de mes toilettes, j’ai allumé mon ordinateur portable et
consulté mes différentes adresses mails. À un moment donné, quand la liste des
adresses enregistrées s’est affichée, j’ai vu apparaître la sienne. Elle était
là, tout simplement, dans mon ordinateur. Comme une preuve de l’utilisation de
mon pc. J’ai été super heureuse de voir cela. Et l’évidence de cette intimité
et de la signification de cette apparition m’a donné le sourire pour toute la
journée. Juste ça. Une adresse hotmail qui s’est affichée sans que je le
demande.
Elle a laissé son empreinte sur
mon ordinateur. Elle existe réellement. Je ne l’ai pas inventée. Elle n’est pas
le fruit de mon imagination fertile. Elle est elle, simplement elle. Et elle a
laissé sa marque sur mon ordinateur portable en plus d’une marque sur mon cœur
et mon corps. Pourquoi il n’est pas aussi simple de retrouver la douceur de ses
mains quand elle me caresse, le goût de ses lèvres sur les miennes quand elle
m’embrasse, la fraîcheur de son sourire quand je raconte n’importe quoi et son
odeur grisante quand je pose ma tête au creux de son cou ?
Le manque fait perdre la tête. Je
crois que je déraille.
Isabelle B. Price (23
Mai 2010)
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