vendredi 28 octobre 2011

Laisser une empreinte




Je connais ma factrice X depuis très peu de temps. En fait non, je reprends. Je connais ma factrice X depuis plusieurs années. Il a juste fallu que j’ouvre les yeux, qu’elle ouvre les yeux, puis que je sois prête, qu’elle soit prête et enfin qu’on se rencontre.

J’étais morte de trouille à l’idée de rencontrer les membres de l’équipe il y a à peine deux mois de cela. Je n’en avais pas réellement envie. Je ne souhaitais pas leur donner de visages et les rendre humaines, protégée que j’étais derrière mon écran et mon clavier, en sécurité. Et puis finalement, après plusieurs années à me cacher, il a fallu que je prenne mon courage à deux mains et que j’assume ce que j’avais fait et ce que j’étais. J’ai volontairement refusé de manger à midi avec elles pour m’offrir un dernier moment de liberté.

Quand je les ai rencontrées pour la première fois, toutes ensembles, à l’hôtel, j’étais dans le tourbillon du moment et j’ai dit le truc le plus stupide qui soit : « Je suis Isabelle. » Des fois qu’elles n’auraient pas pu additionner toutes seules 2+2, je leur donnais le résultat final.

Cette première formalité passée, on s’est agglutinées dans la chambre aux trois lits. Il fallait qu’on bosse une nouvelle fois sur les questions. On devait peaufiner les détails. Discuter avec ma factrice X s’est avéré bien plus facile que je ne l’avais imaginé. Trop facile même. Les autres étaient un peu plus en retrait ou alors je comprenais moins ce qu’elles voulaient. Mais l’entente que nous avions développée depuis quelques temps à discuter sur MSN en tête à tête, ma factrice X et moi, a fait que j’étais à l’aise, tranquille.

Mon problème est vraiment apparu quand elle a proposé qu’on prenne les 10 minutes de « préparation fille » que nous avions prévues dans le temps organisationnel. Personne n’a souhaité se remaquiller et elle a été la seule à aller se changer. Et quand elle est sortie de la salle de bain, je n’ai pas pu la quitter des yeux. J’ai pensé une seule et unique chose : « On est dans la merde. Rectification, je suis dans la merde. » Oui, je me suis dit ça dans ma tête tellement elle était belle. J’ai cru que je n’arriverai jamais à détacher mon regard d’elle. Je me suis fait l’effet du loup dans Tex Avery quand il a le regard exorbité et la langue qui pend par terre parce que mes yeux refusaient de regarder ailleurs que sa poitrine. J’ai paniqué en me disant que ça allait se voir et que j’avais l’air d’une fille qui ne sortait jamais de chez elle (ce qui était un peu le cas mais quand même, normalement, je sais me tenir).

J’ai quitté ce week-end avec des images plein la tête et un sentiment de bien-être terriblement rare et agréable. Je m’étais sentie à l’aise et à ma place, vraiment, pour la première fois de ma vie. J’ai gardé le souvenir de ma factrice X se changeant et d’autres petites choses sans pour autant que j’imagine une seconde que quelque chose ne soit envisageable avec elle. Elle était trop belle, trop confiante, trop jeune. J’étais persuadée de n’avoir aucune chance.

Quand finalement on s’est retrouvées, embrassées pour la première fois et qu’on a passé la nuit ensemble, mes rêves les plus fous sont devenus réalité. Le plus incroyable c’est que justement, je n’avais pas vraiment fait de rêve à ce sujet-là, préférant vivre notre rapprochement et notre amitié qui devenait plus au jour le jour. La réalité me comblait et je n’avais pas besoin de recourir à mon monde imaginaire.

Il est difficile d’avoir l’air détaché et de garder sa vie telle qu’elle est quand vous aimeriez donner une place plus importante à l’autre. Plus exactement, il est difficile de garder votre vie comme elle est quand l’autre prend une place aussi importante dans celle-ci. J’ai beau me raisonner, me dire qu’il faut y aller doucement, prendre son temps, apprendre à se connaître, je suis outrée de voir que je suis une véritable lesbienne qui brûle allègrement les étapes. J’ai honte… enfin presque.

On s’est vues seulement deux fois si l’on fait abstraction de notre première rencontre, totalement platonique, à Lille. On ne s’est vues que deux fois et pourtant, quand je suis rentrée de chez elle, j’ai remis mon haut de pyjama en essayant d’y retrouver son odeur. Je refusais de la laisser partir si facilement. Je refusais de penser que j’avais rêvé ces moments. Je ne voulais surtout pas penser que j’avais pu imaginer ce bonheur.

Quand vos attentes ont été comblées et plus encore, il est normal de vouloir se rattacher à ses souvenirs. Et en même temps, il est tellement plus agréable de vivre ces choses. C’est tellement plus magique, tellement plus fort, tellement plus beau.

Sa présence s’éloigne de temps en temps. Je reprends mon travail, je fais les travaux dans mon appartement, je bosse sur le site Internet et elle n’occupe plus 100 % de mes pensées. Et j’ai pas envie de ça. J’aime qu’elle soit omniprésente dans mes pensées. J’adore attendre que mon téléphone sonne. J’apprécie d’aller sur ma boîte mail 30 fois par jour en essayant de me raisonner et de me reprendre. Réussir à retrouver ma vie me fait peur. Et si elle disparaissait comme elle est venue ? D’un coup, subitement ?

Aujourd’hui, entre deux ablations de faïence sur le mur de mes toilettes, j’ai allumé mon ordinateur portable et consulté mes différentes adresses mails. À un moment donné, quand la liste des adresses enregistrées s’est affichée, j’ai vu apparaître la sienne. Elle était là, tout simplement, dans mon ordinateur. Comme une preuve de l’utilisation de mon pc. J’ai été super heureuse de voir cela. Et l’évidence de cette intimité et de la signification de cette apparition m’a donné le sourire pour toute la journée. Juste ça. Une adresse hotmail qui s’est affichée sans que je le demande.

Elle a laissé son empreinte sur mon ordinateur. Elle existe réellement. Je ne l’ai pas inventée. Elle n’est pas le fruit de mon imagination fertile. Elle est elle, simplement elle. Et elle a laissé sa marque sur mon ordinateur portable en plus d’une marque sur mon cœur et mon corps. Pourquoi il n’est pas aussi simple de retrouver la douceur de ses mains quand elle me caresse, le goût de ses lèvres sur les miennes quand elle m’embrasse, la fraîcheur de son sourire quand je raconte n’importe quoi et son odeur grisante quand je pose ma tête au creux de son cou ?

Le manque fait perdre la tête. Je crois que je déraille.


Isabelle B. Price (23 Mai 2010)

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