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Je ne me suis jamais considérée
comme une militante de quoi que ce soit. Je n'ai pas de cartes d'associations
particulières, je n'ai jamais assisté à des conférences passionnées pour tel ou
tel sujet, je ne suis pas particulièrement transgressive et surtout je suis une
gentille. Du coup la désobéissance civile ou attirer l'attention très peu pour
moi. Et pourtant hier, j'ai compris qu'aux yeux de ma famille je faisais partie
des pires militantes qui soient. Celles qui sont agressives, qui s'insurgent,
s'énervent, se battent, veulent des changements tout de suite et maintenant et
pas pour les générations futures. Étrange de relever cette différence...
Resituons la discussion qui s'est
déroulée après le repas, sur le projet de loi pour le mariage pour tous. Malgré
mes explications, mon petit frère s'obstine à dire qu'il s'agit du mariage
homosexuel parce que pour "les autres c'est de ça qu'il s'agit, le mariage
homosexuel". Et peu importe si c'est faux et si ce dont il est question
c'est le mariage pour tous. Les gens pensent que c'est ça donc c'est ça. Mais
c'est qui ces gens ? Les hétérosexuels ? Les croyants ? Ses collègues de boulot
? Lui et ses amis ? Peu importe, c'est la réalité, la vraie, l'unique.
Ce que j'ai tenté d'expliquer, sans le moindre
succès puisque de désespoir il m'a fallu quitter la pièce pour aller prendre
l'air (si j'avais été une fumeuse j'en aurais grillé plus d'une à ce moment-là,
c'était que je ne demandais rien d'autre que l'égalité. Est-ce qu'aujourd'hui, en
2012, c'est anormal de demander l'égalité des droits, visiblement, oui.
Pourquoi ? Parce que ça va bouleverser la société et la vie de tout le monde !
Heu... les hétérosexuels pourront toujours se marier, hein. Je demande juste le
droit de faire de même. Comme quand les noirs ont eu le droit d'épouser des
blancs et inversement. Moi je demande juste le droit de pouvoir épouser une
femme. Une évolution du mariage ni plus ni moins. Je ne veux pas d'un pacs
amélioré parce que je ne veux pas être traitée différemment des autres. Mais je
le suis différente. Donc je devrais accepter ce qu'on me donne et me taire.
Ouch, ça fait mal.
Et puis demander le droit à
l'adoption, c'est trop en vouloir, c'est trop en demander, c'est mettre la
charrue avant les bœufs, c'est vouloir aller trop vite. L'accès au mariage est
déjà un tel bouleversement. Alors je serais comme ça ? Je serais une femme qui
en demande trop, trop vite ? Je veux tout, tout de suite ? C'est mal ? Oui.
Parce que le monde est ainsi : hétérocentré, patriarcal, profondément injuste.
Et non, la loi ne devrait pas me prendre en compte et s'arranger pour que je
sois égale. Je suis une femme et je suis homosexuelle. Je dois l'accepter et
vivre sans ennuyer la majorité.
Quand je demande l'accès au
mariage, pour moi, je ne lutte pas pour les associations LGBT plus que pour les
associations de respect des droits de l'Homme. Oui, pour moi il est évident que
si les hétérosexuels ont ce droit, j'ai le droit d'avoir le même. Et je vois
d'ici la réponse "mais vous l'avez ce droit, vous pouvez épouser un homme
! " Je demande à pouvoir épouser un homme si je veux mais au-delà, depuis
que le mariage est devenu un lien par amour et non plus un moyen de réunir des patrimoines,
je demande le droit d'épouser la personne que j'aime, ni plus ni moins. Mais si
ça gêne tant que cela, pas de problème, on peut supprimer le mariage et offrir
un pacs pour tout le monde, homo et hétéro. Allez soyons fou, réinventons notre
monde. Cela ne me dérangerait pas, c'est juste une question d'égalité.
Pareil pour la question de
l'adoption. C'est simple pourtant, en tant qu'homosexuelle célibataire, j'ai le
droit d'adopter. La France a été condamnée il y a plusieurs années parce
qu'elle avait refusé qu'une femme homosexuelle adopte. On ne peut pas refuser
l'adoption en raison de l'orientation sexuelle. Très bien. Mais si je suis en
couple, je veux avoir le droit d'adopter avec la personne qui partage ma vie.
C'est trop demander ? Nier que je suis en couple et que je partage ma vie avec
une personne que j'aime et qui va élever autant que moi cet enfant sur lequel
je serais la seule à avoir des droits cela ne devrait pas m'indigner ? Je
devrais accepter cette hypocrisie sans me plaindre ?
Eh bien non, je refuse. Désolée
mais si demander cette égalité des droits fait de moi une militante LGBT alors
je l'accepte. Je serais une militante LGBT qui se bat pour l'égalité des droits.
Allez, soyez fous, mettez-moi donc dans cette case-là !
Pour moi, le véritable
questionnement devrait se trouver ailleurs, notamment au niveau des techniques
de procréation. Les associations LGBT demandent l'ouverture de la procréation
médicalement assistée pour les lesbiennes. Le fait est qu'en France, la
procréation médicalement assistée est très réglementée et n'est ouverte qu'aux
couples stériles. Les lesbiennes n'étant pas stériles, cette question est
intéressante à poser. Et du coup pourquoi ne pas ouvrir la PMA aux femmes
célibataires ? Cette question me semble intéressante et pourrait ouvrir à débat
à partir du moment où on ose sortir du "est-ce que les homos sont de bons
parents ?" et "est-ce que cela ne va pas nuire aux enfants ?"
Soyons honnêtes, quand on fait un enfant, qu'on soit hétéro ou homo, c'est toujours
un acte égoïste.
Pareil en ce qui concerne les
mères porteuses, c'est une réalité, en France on ne peut pas faire appel à une
mère porteuse. Qu'on soit un couple stérile ou un couple d'hommes. Est-ce qu'il
ne serait pas intéressant de se pencher sur cette question en observant ce qui
se fait dans les autres pays pour essayer de faire au mieux et d'offrir la
meilleure protection possible à tout le monde ?
Des questions qui sont passées
sous silence alors que le débat sur le mariage pour tous reprend les mêmes
arguments qu'il y a treize ans quand le gouvernement devait voter la loi sur le
pacte civil de solidarité. À croire que la discussion
n'avance pas et qu'on reste toujours bloqué sur les mêmes points, incapables
d'évoluer avec notre temps...
Isabelle B. Price (14
Octobre 2012)
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