mercredi 28 septembre 2011

S'embrasser sur le quai d'une gare




Il y a des instants qui possèdent une force terrible pour tous. Que l’on soit un homme ou une femme, un gay ou une hétéro, un Noir ou une Blanche. Des instants qui restent gravés en vous comme au fer rouge et qui laissent une emprunte indélébile que seul le temps arrive à apaiser un peu.

Embrasser la personne que l’on aime sur le quai d’une gare fait partie de ces instants.

J’ai toujours été une fille timide, introvertie, silencieuse quand on ne me connaît pas et au contraire bavarde à tuer quand on me connaît. J’ai appris à observer parce que mon métier le voulait, mais j’ai appris à observer ce qui m’intéresse et à me détourner de ce qui n’a pas la moindre importance pour moi. Non je ne sais pas ce que portait telle personne que je viens de croiser et à qui je viens de dire bonjour. Mais oui, ce blondinet vient de partager son gâteau pour en donner la moitié à sa petite sœur qui vient de faire tomber le sien.

Quand je prenais le train, ce qui ne m’arrivait que très rarement puisque je suis une fille indépendante propriétaire d’une superbe voiture bleue, j’aimais beaucoup observer les gens sur le quai de la gare. Tous ces gens, d’horizons et d’âges différents qui se séparaient sur le quai, ça avait quelque chose de beau et de fascinant. Bien sûr, vous aviez les fausses séparations qui ne revêtaient pas cette importance de fin du monde. Mais, la plupart du temps, vous aviez les vraies séparations. Celles où les couples s’agrippent pour tenter de ne faire plus qu’un, encore une seconde, une minute, une éternité. Ces baisers qui semblent dire « tu es mon tout » et scellent les lèvres de ceux qui les échangent.

Je trouvais ça beau. Terriblement romantique, loin de tout côté dépressif. Comme si ces au revoirs ne pouvaient déboucher ensuite que sur des retrouvailles. Comme si je savais que ces gens étaient plus forts que la distance qui allait les séparer. Je suis une rêveuse et ils me donnaient l’occasion de rêver en les observant.

Je n’avais jamais vécu de séparation sur un quai de gare. Ou plus exactement, je n’avais jamais vécu de séparation sur un quai de gare avec la personne que j’aime.

Tout a une première fois.

Ma première fois a été terriblement belle même si elle se teintait d’un déchirement qui m’a donné envie de ne pas monter dans le train qui devait m’éloigner de cette femme qui est devenue en l’espace d’un sourire et d’un regard, tout mon univers.

Je ne suis pas particulièrement une fille démonstrative comme je ne suis pas non plus une fille qui se cache. J’aime les justes milieux. Il faut juste que je me sente à l’aise et en confiance. Le quai d’une gare parisienne n’est pas franchement l’endroit où je me sens le plus en confiance. Elle m’accompagnait jusqu’à ma voiture en me tenant la main. Je traînais ma valise de l’autre côté. Je vivais intensément ces dernières secondes avec elle quand nous sommes arrivées à destination. J’ai regardé le wagon, déconfite. Déjà. C’était pourtant le dernier sur quinze. Comme si la SNCF avait pris en compte cette nécessité de me laisser du temps.

Je me suis tournée vers elle en haussant les épaules, vaincue. Je ne savais pas quoi dire. Je ne savais pas quoi faire. J’étais triste de la quitter, tout simplement. Et là, elle a trouvé exactement ce qu’il fallait faire. Elle a abandonné ma main et m’a prise dans ses bras en me serrant très fort. J’ai planté ma valise à roulettes sur le quai et je l’ai collée un peu plus contre moi en passant à mon tour mes bras autour d’elle.

C’était bon. C’était doux. C’était l’univers entier à ma portée.

J’ai fermé les yeux. J’ai appuyé ma joue sur ses cheveux. J’ai respiré son parfum. Je me suis dit que je ne pourrais jamais la quitter. Elle s’est alors légèrement écartée de moi m’obligeant à revenir sur le quai de cette gare et à ouvrir les yeux. Quand je me suis perdue dans son regard, j’ai compris que je n’avais qu’à la suivre, qu’elle savait exactement ce qu’elle faisait.

Elle s’est avancée vers moi et m’a embrassée. Le plus beau baiser d’au revoir que je connaisse. Pas un baiser d’adieu. Un baiser d’au revoir qui dit à quel point l’autre est important, à quel point on lui fait confiance, on se fait confiance, qu’on sait d’avance que l’on va bientôt se retrouver et que rien n’aura changé. J’ai savouré ce baiser comme le cadeau que c’était.

Quand elle m’a serrée une nouvelle fois dans ses bras en me disant qu’elle n’avait pas envie de me laisser partir, j’ai une nouvelle fois apprécié de pouvoir tenir son corps chaud contre moi. J’ai apprécié de retrouver cette intimité qui nous est propre et le naturel avec lequel nos corps s’emboîtent. J’ai repris la même position que quelques instants plus tôt.

Au moment où j’allais fermer les yeux, j’ai vu trois femmes nous observer à deux mètres à peine. Elles ouvraient de gros yeux ronds et se parlaient, tout bas et tout doucement, l’air visiblement outrées. La femme que j’aimais était contre moi et m’expliquait combien je comptais pour elle quand ces deux réalités se sont télescopées d’un coup.

J’avais oublié. Nous étions deux femmes, sur le quai d’une gare, qui se disent au revoir.

J’ai regardé ces trois personnes et j’ai souri. Quand j’ai vu passer le contrôleur et que j’ai entendu l’annonce résonner, c’est moi qui me suis reculée pour lui voler un dernier baiser.

Et puis j’ai fait ce que toute passagère se doit de faire. Je suis montée dans le train.

Sur le coup, j’ai regretté d’y être montée dans ce train et de l’avoir laissée sur le quai de cette gare. Je me suis maudite d’avoir dû la laisser.

Mais aujourd’hui que je suis loin d’elle. Je pense à la prochaine fois qu’on se reverra. À ces retrouvailles sur le quai d’une autre gare. À son corps contre le mien. À son parfum si frais et tellement elle. À son sourire confiant et ses yeux rieurs.

Et à cet autre baiser sur le quai d’une gare qui sera si différent et qui aura pourtant exactement le même sens.


Isabelle B. Price (19 Mai 2010)

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