Depuis deux jours, c’est la
question qui revient sans cesse de manière assez amusante. Un collègue de
travail d'une membre de l'équipe lui a demandé si c’était un site militant et
elle m’a retourné la question. Aujourd’hui encore, une personne bien
intentionnée m’a demandé ce que je faisais exactement avec Univers-L.com.
En clair, nous en revenons à la
célèbre phrase « Où vais-je, où cours-je, dans quelle
étagère ? »
Et autant ces questions
appliquées à mon métier j’arrive à y répondre, quoique en ce moment… Bref,
autant ces questions, appliquées au site, m’ont plutôt surprises et amenée à
m’interroger plus que je ne le voulais.
Au début, quand j’ai créé
Univers-L, je n’imaginais déjà pas qu’un jour ce serait un site en ligne
visible par tous. J’avais simplement besoin de souffler et de m’éloigner de mon
quotidien qui consistait à prendre soin, écouter et rassurer des personnes
malades. J’avais besoin de quitter la réalité. Et il n’y a rien de mieux, pour
fuir la réalité, que de se réfugier dans les films, séries télévisées et
livres. J’ai fait cela pendant toute mon adolescence et j’ai continué durant ma
vie de jeune adulte.
Au départ, donc, ce n’était
simplement qu’un moyen pour moi de mettre par écrit des sentiments, des
ressentis, des analyses personnelles sur ce que je voyais, ce que je lisais, ce
que j’étendais. Un moyen de réfléchir sur un sujet totalement différent de ceux
auxquels ma profession me confrontait. Et oui, analyser un pull arc-en-ciel
dans la série « Buffy contre les Vampires » en expliquant que c’était
la manière de prouver que Willow devenait lesbienne, c’était à des années
lumières de la prise en charge physique et psychologique des patients porteurs
de stomies digestives. Ça me détendait.
Quand Univers-L s’est retrouvé en
ligne, les premières années, c’était tellement amateur et j’avais si peu de retours
que je pouvais continuer à penser que j’écrivais avant tout pour moi, pour me
faire plaisir. J’ai rajouté la catégorie livres pour me faire une sorte de
grande bibliothèque où tout serait archivé. Puis sont venues les sections
bandes-annonces et personnalités. À ce moment-là je ne réfléchissais pas
vraiment à l’impact. Tout ce que je savais c’est que ça répondait avant tout à
mes propres besoins.
Parce que personnellement,
j’avais beau faire des recherches sur l’Internet, je ne trouvais que rarement
ce que je voulais sur un même site. Il fallait que j’accumule les sources, que
je compile, que je fouille la plupart du temps sur des sites en anglais et
parfois même sur certains en espagnol et en allemand. Heureusement pour moi,
les traducteurs en ligne me permettaient de savoir si c’était ou non ce que je
cherchais.
Je me suis donc dit, « tu vas tout noter sur ton site, faire
des liens et comme ça, tu auras en français les informations que tu veux ».
C’est ainsi que j’ai fait des recherches sur telle réalisatrice, telle
scénariste, telle productrice, que j'ai relié cela à des films ou
courts-métrages et fait des rapports qui m’intéressaient moi, seulement moi.
Parce que oui, j’adore le travail d’Angela Robinson. Et celui de Rose Troche.
Et puis c’est amusant, Rose Troche a fait son premier film « Go
Fish », une référence du cinéma lesbien avec sa petite amie de l’époque, Guinevere
Turner. Elles ont rompu mais sont restées suffisamment amies pour terminer leur
projet. Et Gun elle a ensuite bossé avec Angela Robinson sur « The
L-Word » et Cheryl Dunye sur « The Watermelon Woman ». Bref,
j’ai fait des tours et des détours pour apprendre ce genre de choses qui
finalement n’intéressaient que moi mais qui me plaisaient beaucoup parce que ça
me détendait tout en me faisant rêver.
C’est marrant de réaliser comment
peuvent naître certaines œuvres aujourd’hui considérées comme cultes par un
grand nombre de lesbiennes. C’est surprenant de réaliser que des femmes ont
fait ça dans leur garage, avec quatre bouts de ficelles, des dettes pour leur
vie entière. C’est incroyable de réaliser à quel point certaines personnes
s’impliquent pour la visibilité et la reconnaissance d’une population. Et ce
militantisme m’impressionnait et m’impressionne toujours autant.
Au fil des mois et des ans le
site s’est amélioré pour arriver à la forme qu’il a actuellement. Aujourd’hui,
je ne le continue pas pour les mêmes raisons. Il s’est opéré un changement
important dans la manière dont je le considère quand j’ai pris conscience que
j’étais lue. Céline s’en est d’ailleurs amusée au début. C’est une chose
d’écrire pour se faire plaisir sans se soucier des conséquences, de la manière
dont ce que l’on fait est perçu, c’en est une autre, très différente,
d’intégrer que des personnes reviennent régulièrement pour savoir ce que vous
avez étudié et pensé de votre dernier film ou livre.
Là, j’ai regardé le site
différemment. Il m’est apparu comme une chose que j’avais débutée et que je
devais continuer parce que d’autres en attendaient quelque chose. Comme ces
sites ou blogs sur lesquels moi j’allais mais où je désespérais soudain de
l’absence de mises à jour, de l’absence de suivi ou même d’une subite
fermeture. J’avais débuté quelque chose qui avait trouvé un public, je me
devais de poursuivre parce que même si une seule personne attendait, une seule
et unique personne, j’avais quelqu’un à satisfaire. J’ai des principes très
stupides des fois, je sais.
J’ai créé Univers-L de manière
très égoïste. C’était simplement, au départ, cette liste que beaucoup d’homos
ont fait ou vont faire. Une liste regroupant des films, des livres, des séries
abordant un sujet qui est important pour leur construction. La seule différence
c’est que moi, j’ai été poussée par deux frères accros de l’informatique à
développer mes « fiches » et à les mettre en ligne à disposition de
tout le monde. Ensuite, il y a eu une demande, une demande qui m’a poussée à
considérer cela comme un travail (bénévole) à part entière.
Aujourd’hui le site a changé,
s’est enrichi. J’ai rencontré des filles géniales qui ont accepté d’apporter
leur contribution à Univers-L. Certaines sont parties mais je garde un souvenir
fort de notre collaboration, d'autres sont arrivées et leur enthousiasme ainsi
que leur implication me font continuer à rêver et à penser que le site peut
continuer à s'améliorer.
Aujourd’hui, je pense
qu’Univers-L répond peut-être à une part militante de moi mais surtout engagée.
Engagée pour l’égalité, le respect des différences, cette fraternité que l’on
juge dépassée à l’heure actuelle. Univers-L me permet de me lever le matin en
me disant qu’à défaut de sauver le monde, je fais au moins ce qui est en
mon pouvoir pour essayer de le changer.
D’où je viens avec Univers-L ? D’un endroit que vous refusez de voir et de connaître qui parle de
maladie, de souffrance et de mort. D’un endroit que je vois tous les jours et
dont j’avais besoin de m’extraire.
Où je vais avec Univers-L ? Je l’ignore complètement.
Pourquoi j’ai créé Univers-L ? Pour apprendre, découvrir, comprendre et me coucher moins bête le soir.
Combien de temps va durer Univers-L ? Seul l’avenir nous le dira.
De quoi suis-je le plus fière avec Univers-L ? Des rencontres. La rencontre des membres de
l'équipe Univers-L, des auteures et artistes qui ont accepté de répondre à mes
questions et de me laisser découvrir un peu de leur monde.
Finalement Univers-L c’est
l’incroyable histoire d’une fille qui, pour oublier la réalité s’est toujours
coupée du monde et s’est toujours perdue dans les films, les séries télévisées
et les livres. Un isolement qui au lieu de l’éloigner encore plus des gens lui
a permis, à travers le world wide web, de s’ouvrir aux autres. Ou quand l’égoïsme
et l’asociabilité permettent les plus belles rencontres !
Isabelle B. Price (17 Mars 2013)